"C'était la révélation de trop"

Alors que d'alarmantes dénonciations secouent l'Eglise catholique, des fidèles hésitent à rompre leurs liens avec elle. Témoignages.

1640 personnes ont décidé de quitter l'Eglise catholique au sein du canton de Fribourg en 2022. © PEXELS

Il y a 10 jours, l'Université de Zurich publiait une étude recensant plus de 1000 cas d'abus sexuels au sein de l'Eglise catholique en Suisse depuis le milieu du 20e siècle. Il ne s'agirait que de la face visible de l'iceberg selon les auteurs, la plupart des cas n'ayant jamais été signalés. Au moment des faits, la grande majorité des victimes étaient mineures.

Suite à ces révélations, plusieurs fidèles se retrouvent en porte-à-faux face à cette institution qui accueille leur foi et qui tient, dans certains cas, une place importante dans leur vie quotidienne. Entre claquer la porte ou rester malgré les crimes commis au sein de l'Eglise, comment se positionner clairement?

Un départ clair et net

Pour la plupart des personnes qui quittent maintenant le navire, cela fait longtemps que la confiance envers l'Eglise catholique était vacillante. Loïc* vient de poster sa lettre de demande de sortie. Pour ce Gruérien, cela fait trop longtemps que de tels agissements sont connus au sein de cette communauté. 

"C'était la révélation de trop. Je ne pouvais plus rester en ayant connaissance de ces agissements. Je trouve trop facile de se placer en sauveur et défenseur des personnes victimes alors que les moyens pour les protéger étaient là."

Nathalie* a également quitté l'Eglise récemment. La Sarinoise décrit une institution d'un autre âge, en contradiction avec ses valeurs morales et dont elle a fini par se méfier. "Mes enfants revenaient régulièrement de leur leçons de catéchisme avec des bonbons et des chocolats, comme s'il fallait trouver un moyen de les appâter, de les garder." 

Rester malgré l'indignation

Mais tous n'ont pas décidé de partir. Martine* se dit profondément choquée et en colère par rapport à ce qu'il s'est passé au sein de l'Eglise catholique. Pourtant, elle ne compte pas rompre tous liens avec elle pour autant. "La première fois que j'ai voulu m'en séparer, ma mère m'a dit que je ne pouvais pas faire ça, que ça ne se faisait pas. Il y a 20 ans en arrière, l'Eglise avait encore une forte influence sur la population et la génération de mes parents avait très peur du qu'en-dira-t-on, surtout dans les petits villages. Par respect pour ma mère, je continue donc de payer l'impôt même si je ne suis plus pratiquante." 

Une taxe qui interroge

En 2022, 1640 personnes ont décidé de quitter l'Eglise catholique dans le canton de Fribourg. Un chiffre qui a presque doublé en cinq ans. En dehors des abus, un autre aspect qui pèse lorsque l'on parle de sortir de cette institution est celui de l'impôt ecclésiastique. Ce tribut, seule source de revenu de l'institution, se calcule en fonction du salaire. En plus de soutenir le clergé et ses infrastructures, 40% de cette somme va à des actions sociales ou des œuvres d'entraide, comme Caritas par exemple.

Pour la plupart des sortants, venir en aide à ses structures indépendantes peut se faire hors de la taxe. "Il existe d'autres canaux pour soutenir ces structures", explique Laure*, sortie de l'Eglise depuis cinq ans. "Si l'envie est là, on peut les aider financièrement, sans que cela passe par des mains religieuses."

De son côté, Didier Castella, conseiller d'Etat fribourgeois en charge des institutions, pense que ces départs officiels ne sont pas prêts de diminuer. "Les révélations de ces derniers jours agiront comme un accélérateur d’un phénomène déjà en marche. En dehors du paiement des salaires des fonctionnaires de l’Eglise, cela aura aussi une influence évidente sur l’entretien de notre patrimoine religieux et d’autres activités de l’Eglise, comme l’accompagnement des personnes en fin de vie." Selon le ministre, une alternative avait été proposée au Grand Conseil où cet impôt, s’il n’est pas reversé à l’Eglise, irait automatiquement à d’autres structures humanitaires ou sociales. Mais cette proposition n'avait pas été acceptée telle quelle.

Garder la foi

Avec toutes ces révélations et le sentiment de colère à l'encontre de l'Eglise, il serait légitime de se demander comment continuer à croire en Dieu, en une entité juste et miséricordieuse. Pourtant, la grande majorité des personnes interrogées dans le cadre de cet article disent avoir gardé la foi, même si celle-ci s'exprime de façon différente.

"Les religions ont été créées par l'homme. Quand je vois tout le mal qui s'est déroulé au sein de l'Eglise catholique, je ne peux plus continuer à croire en elle", confie Martine*. "Mais je continue de vivre ma spiritualité différemment, en dehors d'une quelconque institution."

*Prénom d'emprunt - Toutes les personnes interrogées ont souhaité garder l'anonymat.

Frapp - Dimitri Faravel
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