Quartier d'Alt: des locataires dans la galère des travaux

A Fribourg, des dizaines de locataires subissent d'importantes nuisances à cause de travaux. Ils fustigent la façon de faire de leur régie.

Christiane Dreyer devant sa nouvelle "cuisine" installée dans son salon. © RadioFr.

Ils doivent vivre sans eau courante pendant deux mois. Leur nouvelle réalité pour prendre une douche: sortir de chez eux, marcher une trentaine de mètres, et entrer dans un appartement vacant. Pareil pour les toilettes. Comment faire la nuit? Leur régie leur a fourni des toilettes chimiques "pour les petites commissions". 

Même chose pour cuisiner. Celles et ceux qui l'ont expressément demandé ont reçu des plaques électriques à installer dans leur appartement. Mais où jeter l'eau des pâtes? Aucune évacuation n'est possible. 

Ce quotidien aux airs de camping, c'est celui des dizaines de locataires de plusieurs appartements du quartier d'Alt, à la Rue Aloys-Mooser et à celle du Marcello. Les travaux -désamiantage, modernisation des cuisines, des salles de bain, pose de nouvelles fenêtres, raccordement au chauffage à distance - vont durer environ une année. 

Dédommagement trop faible

Les locataires ne remettent pas nécessairement en cause les chantiers, mais la façon de faire de la régie, en l'occurrence Livit, propriété de Swiss Life, plus grand groupe d'assurance-vie de Suisse, qui a décidé d'effectuer ces travaux "en état d'occupation". Comprenez, en gardant les locataires dans leur appartement pour toute la durée du chantier. 

"On nous a informés très peu de temps avant le début des travaux. En janvier pour un début des travaux en mai", regrette Christiane Dreyer, qui vit dans son appartement depuis 39 ans. Les locataires se sont organisés pour faire des requêtes auprès de la régie. La principale demande: un dédommagement financier en compensation des nuisances. 

Le nouveau salon de Chrisitiane Dreyer, avec les plaques de cuissons
Le nouveau salon de Christiane Dreyer, avec les plaques de cuissons

Livit propose d'offrir un loyer. Une proposition jugée insuffisante par Christiane Dreyer et un de ses voisins, Arthur Pilloud. Cet étudiant habite en colocation et est à bout: "On prend sur nous pendant deux mois. Psychologiquement, ce n'est vraiment pas facile. On entend le marteau-piqueur jusqu'à 17h30. Le matin, je me fais réveiller dès 7h par des ouvriers. Le samedi aussi, nous subissons aussi parfois des travaux et c'est impossible de se reposer. On aurait dû nous payer deux mois de loyer ou nous reloger." 

Arthur Pilloud met en exergue tout un tas de couacs. "La régie nous a fourni un nouveau frigo... qui ne fonctionnait pas." L'étudiant poursuit: "On est une quinzaine d'adultes à utiliser les douches des appartements vacants. Ce n'est pas vivable. Au final, on va vivre chez des amis et on continue de payer des loyers dans le vide."

Reçus avec arrogance

Les locataires pointent aussi du doigt le manque de tact de Livit. "Arrogance, mépris, menace", voilà les mots qui reviennent pour décrire la manière de faire de la régie.

Lors d'une séance d'information en mars pour présenter les travaux, Livit a par exemple déjà annoncé les futures hausses de loyer qui s'appliqueront une fois le chantier terminé. Comptez plus de 500 francs de hausse pour un 5 pièces. À la vue de ces augmentations, beaucoup de locataires ont décidé de partir. 

Des robinets ont été installés dans les escaliers

Que dit l'Asloca?

L'Asloca fait ce constat général: dans la grande majorité des cas, les baisses de loyer ne sont pas proposées spontanément par les bailleurs. C'est donc aux locataires d'initier la démarche. 

"On a le droit à une baisse de loyer quand on est impacté dans sa vie par des défauts du logement", explique Marie Levrat, vice-pésidente de l'Asloca Fribourg. "Dans ce cas précis, la coupure d'eau pendant huit semaines est un défaut très important."

Comment se calcule cette indemnité? Plusieurs facteurs sont pris en compte: la durée du défaut, sa gravité, son impact sur les conditions de vie, ainsi que la surface ou la pièce concernée.

Selon une grille établie par l'Asloca, le remplacement des sanitaires dans les salles de bains équivaut par exemple à un rabais du loyer de 35%. 

Julien Rilliet, porte-parole de l'Asloca Vaud, donne lui cet exemple: "Lorsqu’un logement est privé d’eau chaude pendant deux semaines, une réduction de loyer de 50 % pour la durée du défaut peut être justifiée. Une simple coupure d’eau potable peut également donner droit à une réduction, selon son ampleur. Les locataires doivent toujours documenter les défauts (photos, attestations, etc.) et informer immédiatement leur bailleur."

Selon Julien Rilliet, les principales demandes de baisses de loyers se répartissent autour de trois motifs: baisse du taux hypothécaire de référence, défauts ou nuisances dans le logement (travaux prolongées, coupures d'eau, moisissures,...) et contestation du loyer initial.

En cas de désaccord, Marie Levrat conseille aux locataires de saisir la commission de conciliation.

Que dit Livit? 

Elle balaie toutes ces critiques et assure tout mettre en place pour limiter les nuisances. "Nous sommes conscients qu'une rénovation en état d'occupation est exigeante et qu'elle implique des restrictions pour les locataires. C'est pourquoi Livit assure une coordination étroite sur place avec les entreprises concernées, propose au besoin le soutien de personnes de contact et s'efforce de réduire au maximum les contraintes pour les locataires." 

Pour la régie, informer les locataires environ cinq mois avant le début des travaux est un préavis jugé "raisonnable". Elle assure aussi "qu'une solution appropriée a pu être trouvée pour tous les locataires qui ont demandé un logement de remplacement."

Quant à la hauteur de l'indemnisation, voilà sa réponse: "La réduction de loyer est toujours calculée en fonction de l'ampleur ou de la durée des travaux de rénovation et n'est fixée définitivement qu'à la fin des travaux. Il est prévu que les travaux durent entre cinq et sept semaines par logement. Pour cette période, il est d'usage de verser une indemnité équivalente à un mois de loyer net, (...) L'indemnisation sera fixée de manière définitive par le propriétaire, Swiss Life, à la fin des travaux et en fonction de l'évolution du chantier."

Des départs en cascade

Avant le début des travaux, Livit a réduit à un mois le délai de résiliation de bail. Conséquence de cette mesure: beaucoup de personnes ont quitté leur logement. 

Christiane Dreyer, elle, est émue et regrette: "J'ai vécu tellement de belles choses dans cet appartement et ce quartier. Avec ces travaux et cette façon de faire, c'est évidemment un moyen d'augmenter les loyers et c'est aussi tous les liens qui existent dans le quartier que Livit détruit. Ceux qui s'accrochent dans cette situation, ce sont les familles avec des enfants scolarisés."

Elle le sait déjà, elle partira. Dans ce marasme, elle voit quand même une bonne nouvelle. Elle a trouvé un nouvel appartement, toujours dans le quartier qu'elle aime tant, le quartier de sa vie.

RadioFr. - Vincent Dousse
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