Développer le solaire ou sauver le patrimoine?
A l'heure où une pénurie d'électricité plane sur la Suisse, installer des panneaux solaires sur un toit reste un défi. Enquête.

"On ne peut pas discuter, on est face à un mur." Ces mots sont ceux de Roxane et Patrick Perret. Le couple exprime son sentiment dans ce qu'il décrit être un véritable parcours du combattant: poser des panneaux solaires sur le toit de leur maison.
Le mur en question? Le Service des biens culturels du canton de Fribourg.
Une histoire qui se répète
Ce témoignage n'est pas unique. De nombreux Fribourgeois ont partagé leurs témoignages après un appel à témoignages lancé sur les réseaux de RadioFr. Avec ces mêmes histoires qui reviennent sans cesse, ces mêmes mots qui se répètent: incompréhension, jugement arbitraire, manque de soutien, excès de zèle. Ces sentiments sont encore exacerbés avec la pression d'une pénurie d'électricité pour cet hiver.
Cette épée de Damoclès inquiète Roxane et Patrick Perret, même si leur envie d'énergie solaire date de 2018 déjà. "On voulait profiter de rénover le toit de notre maison pour installer des panneaux solaires", explique Roxane Perret. "Pour pouvoir avancer dans les rénovations et faire accepter le permis de construire, les panneaux solaires sont devenus un obstacle." Finalement le toit sera bien rénové, mais sans panneaux photovoltaïques.
Protéger le patrimoine ?
Le couple, ses deux enfants Tessa et Joshua, leur chien Inuki et leur chat Fleur, habitent dans l'ancienne école de Ménières. Le bâtiment date de 1822 et se trouve à côté de l'église du village. La bâtisse est donc protégée.
"On avait un premier projet avec des panneaux sur le toit de la maison. Pour le service des biens culturels ce n'était pas une option", explique Roxanne Perret. Une alternative proposée par les biens culturels? Poser des panneaux en terracotta. Il s'agit de panneaux solaires qui ont la forme de tuiles.
Impossible pour le couple Broyard. "Ces panneaux sont deux fois plus chers que des panneaux solaires standard et leur rendement est moins élevé", argumente Patrick Perret.
Pour Roxanne Perret, l'argument de la défense du patrimoine ne tient pas. "Oui, il faut garder des marques du passé, mais il faut aussi savoir vivre en son temps, avec des problèmes qui ont évolué."
Aujourd'hui, le couple se dit à bout. "On veut encore essayer d'installer des panneaux sur des bâtiments annexes, comme sur la cabane du jardin." Mais une chose encore renforce l'incompréhension des Perret. Leur voisin, qui lui aussi se trouve à côté de l'église, a des panneaux solaires sur le toit de sa maison.
La réponse du canton
A l'heure où chaque wattheure compte et que les autorités demandent aux citoyens de se préparer à baisser leur chauffage cet hiver ou encore à prendre des douches moins chaudes et moins longues, comment expliquer cette situation?
Pointé du doigt pour son excès de zèle, le Service des biens culturels répond. "Hormis dans les bourgs médiévaux comme par exemple à Romont, ou Estavayer-le-lac, on trouve des solutions dans 8 cas sur 10", assure Stanislas Rück, chef de service des biens culturels du canton de Fribourg.
Il appelle aussi à relativiser le rôle du patrimoine dans cette crise énergétique. "8 à 10% des bâtiments en Suisse sont protégés. Si on part de l'idée que dans 80% des cas on trouve des solutions, il reste une partie infime du parc immobilier où on n'aura pas de solution."
A la question de décisions qui seraient motivées par l'arbitraire, Stanislas Rück se défend: "Je ne pense que ce soit vrai. Nous sommes exposés à une variation énorme soit des produits, soit des fournisseurs, soit des bases légales. Aujourd'hui, il n'y a pratiquement plus de points fixes auxquels on peut se tenir. On juge ces demandes différemment par rapport à il y a 5 ans en arrière et je pense que dans 5 ans on les jugera encore différemment."
Bien réfléchir
Le chef de service appelle les propriétaires d'un bien patrimonial à suivre une règle: une bonne réflexion au départ. "Les plans que nous recevons généralement consistent trop souvent en une vue aérienne avec un petit carré dessus. Il n'y a aucune réflexion sur la manière dont on peut améliorer l'intégration des panneaux solaires dans les toitures."
Aller plus vite? Difficile pour Stanislas Rück et son équipe. "Nous avons le personnel que nous avons! Les demandes augmentent. Actuellement, une demande sur trois concernent des panneaux solaires dans notre service. On a 30 jours pour répondre aux demandes de permis. On y arrive dans 80% des cas, mais on n'y arrive pas toujours, je l'admets."
Une confrontation malsaine
Marc Muller est ingénieur et fondateur d'Impact-Living, une entreprise active dans la transition énergétique. Pour lui, il y a actuellement une confrontation malsaine entre les milieux de l'énergie et celui du patrimoine: "C'est juste de protéger le patrimoine, mais les Offices du patrimoine en général ont une position très défensive sur toutes les mesures d'efficacité énergétique: isolation, pose de panneaux solaires, changement de fenêtre."
L'expert en transition énergétique à son idée pour améliorer la situation. "Les milieux du patrimoine devraient annoncer ce qu'il est possible de faire , plutôt que de faire des longues listes de ce qui est interdit." Marc Muller estime que la paperasse administrative ralentit de 25% la pause d'installation solaire.
Mais il ne jette pas pour autant la faute uniquement sur l’État: "Il faut se rendre compte qu'on met une grande pression sur les administrations publiques, car on n'a rien fait collectivement pendant trop longtemps. Aujourd’hui, tout le monde veut tout faire en même temps. Il ne faut pas s'étonner que l’État ne puisse pas suivre. Il faut mettre la pression sur l’État, mais le faire de façon mesurée."
L'exemple de Moudon
Marc Muller site la collaboration entre le canton de Vaud et le centre ville de Moudon en exemple. La ville et la commune ont réussi à proposer des mesures acceptables pour le milieu de l'énergie et celui du patrimoine.
"Elles ont établi une liste des tuiles solaires que l'on peut installer sur les différents toits. Si on est en zone protégée, il suffit d'aller sur cette liste pour voir quel type de tuile il est possible d'utiliser." Suivant le toit en question, le choix sera plus ou moins grand.


