TikTok: "Pour Trump, c'est la cerise sur le gâteau"
Une loi interdit TikTok aux États-Unis. Une mesure peu probable en Suisse, selon un spécialiste en réseaux sociaux. Interview.
Le week-end du nouveau président des États-Unis, Donald Trump, n'a pas été de tout repos. Le Républicain a annoncé son intention de prendre un décret contre la loi, votée au Sénat en avril 2024, interdisant les activités du réseau social chinois TikTok sur le territoire. Les autorités avaient pris cette mesure pour assurer la sécurité nationale, combattre la désinformation et garantir la protection des données personnelles.
Le samedi 18 janvier, lorsque les utilisateurs ont tenté d'ouvrir la plateforme de ByteDance, le message d'erreur suivant s'affichait: "Une loi qui interdit TikTok a été mise à exécution, malheureusement cela signifie que l'application ne peut pas être utilisée pour le moment. Nous sommes chanceux que le président Trump travaille à une solution [...]".
170 millions d'utilisateurs ont été tenus en haleine durant de longues heures. Pourtant, lundi matin, les adeptes du géant chinois se sont réveillés avec une app fonctionnelle sur leur téléphone. Durant le week-end, Trump a agité "sa baguette magique" pour invoquer un décret lui permettant de suspendre la loi pendant 90 jours, le temps de trouver un acheteur. Son but : établir une société commune contrôlée à 50% par des Américains.
Bannir un réseau social, est-ce une possibilité en Suisse? Le spécialiste fribourgeois dans le domaine du numérique, Stéphane Koch, fait part de son avis.
Frapp: les États-Unis interdisent et font machine arrière. De notre côté, un projet de consultation visant à réglementer les acteurs numériques transnationaux est en cours. Comment la Suisse pourrait-elle agir face à TikTok?
Stéphane Koch: La Suisse veut réglementer les plateformes dans leur ensemble. Il y a tout de même eu des tentatives par rapport à TikTok. On sait que par le passé, l'administration fédérale a aussi commandé une analyse de la plateforme, elle souhaitait l'interdire à ses employés. Elle a finalement décidé de ne pas recommander d'interdiction. Pour Trump, c'est la cerise sur le gâteau : montrer qu'il arrive au pouvoir et tente de lever l'interdiction. Il sauve également des emplois. L'app aurait contribué à générer plus de 24 milliards de dollars au produit intérieur brut des États-Unis et créé environ 224 000 emplois aux États-Unis.
Ensuite, sur le fait que ces plateformes peuvent être utilisées pour manipuler les opinions, je ne dirais pas plus que les autres, dans une certaine mesure. Je rappelle que les plateformes américaines ont à peu près cinq décrets légaux permettant aux différentes agences de renseignement d'accéder aux données des utilisateurs. Au niveau de la collecte des données, je ne crois pas qu'une plateforme comme Meta soit en reste par rapport à TikTok, bien au contraire. En Europe, le commissaire à la protection des données européen a imposé à TikTok que les données soient conservées sur le territoire et que celles-ci n'atterrissent pas en Chine (trois centres ont été mis sur pied en Irlande pour héberger les données des utilisateurs européens).
Comment la Suisse doit-elle opérer pour protéger les données des utilisateurs?
Il faut mettre en place un débat beaucoup plus serein et beaucoup plus neutre, qui ne soit pas influencé par des considérations économiques. Il faudrait avoir en place un organisme qui permet d'évaluer ces ingérences étrangères, comme le fait la France avec la structure VIGINUM. Celle-ci permet à l'État de décider de la portée des actions qui sont menées contre le pays, de les qualifier, de les évaluer et enfin de pouvoir décider des mesures à prendre. Et ce, sans distinction de plateforme ni de médium. La démocratie permet une expression qui peut être parfois influencée à travers les plateformes sociales, quelles qu'elles soient. Si on sanctionne certaines applications, il y a le risque que le débat soit verrouillé. Il faudrait plutôt mettre des outils en amont qui permettent de détecter les ingérences potentielles. Et former les gens pour qu'ils développent un esprit critique.
Y a-t-il une manière de légiférer sur la question de la gestion des données?
Il ne faut pas réinventer la roue, on ferait mieux de se calquer sur des lois européennes comme le Digital Services Act, qui, lui, a quand même été le fruit de la réflexion de 27 pays membres, et des services juridiques et autres. Il serait important, à mon avis, de favoriser l'éducation aux médias. Les gens devraient développer une grille de lecture adéquate par rapport à la complexité de l'information actuelle. Mettre en place aussi les infrastructures ou outils qui permettent de détecter les ingérences étrangères au niveau informationnel. Ces dernières sont visibles en général sur les plateformes. Elles sont diffusées par des citoyens qui ne sont même pas forcément conscients d'être le relais d'éléments de propagande.