Stop des renvois vers la Croatie demandé à la Confédération

Droit de rester Fribourg, Neuchâtel et Vaud réclament la suspension des renvois Dublin vers ce pays, où "les violences sont systématiques".

Sophie Guignard est membre du collectif Droit de Rester Fribourg, qui s'est mobilisé aux côtés d'autres collectifs romands. © RadioFr.

Plusieurs collectifs de soutien aux demandeurs d'asile, dont le collectif Droit de Rester Fribourg, ont écrit cette semaine une lettre ouverte au Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM): ils l'implorent d'arrêter d'expulser des requérants d'asile vers la Croatie.

Pourquoi la Croatie? C'est là où ces derniers mois, des demandeurs d'asile notamment originaires du Burundi, sont passés avant d'arriver en Suisse, et ont déposé leurs empreintes digitales. Et selon la loi européenne, le Règlement de Dublin notamment, c'est au pays qui a enregistré la demande d'asile et pris les empreintes digitales de traiter le dossier.

Demande déposée sous contrainte

Sauf que cela ne devrait pas se passer comme cela, dénonce Sophie Guignard, du collectif Droit de rester Fribourg. "La plupart des témoignages que nous avons reçus montre que ces personnes migrantes ont souvent été contraintes de signer des documents qu'elles ne comprenaient pas et de donner leurs empreintes. Il y a eu de l'intimidation."

Et, surtout, poursuit Sophie Guignard, en renvoyant ces personnes vers la Croatie, la Suisse se rend complice de violences policières. Car là-bas, les demandeurs d'asile sont en danger, insiste-t-elle. "Ils subissent des traitements inhumains et dégradants. Ces violences ont été documentées par de nombreuses organisations, des ONG, des journalistes, et même la Cour européenne des droits de l'homme. C'est une situation connue de violences racistes qui visent les personnes qui viennent chercher protection en Europe."

C'est ce que confirme également à RadioFr. Christian*, 30 ans, hébergé actuellement dans le centre pour requérants d'asile de Chevrilles, dans le canton de Fribourg. Entraîneur de basket au Burundi, il a fui son pays au printemps parce qu'il y était menacé de mort "pour des raisons politiques" notamment. Il a dû quitter sa famille, ses amis.

Arrivé en avion en Serbie, il a poursuivi sa route à pied en Europe, avec d'autres personnes migrantes qu'il a rencontrées sur place. En Croatie, il raconte avoir été victime de violences de la part des forces de l'ordre. "On nous a maltraités, on nous a battus. On nous a pris notre téléphone, notre argent. Des femmes enceintes ont été frappées. D'autres ont eu la jambe cassée." Des moments qui le hantent encore aujourd'hui.

"On a eu peur de mourir"

Comme d'autres requérants d'asile, il confie avoir déposé, en Croatie, une demande d'asile et ses empreintes digitales, mais sans saisir ce qu'il faisait. "On ne comprenait pas les documents que l'on nous a forcés à signer. On ne savait pas ce que cela signifiait. Au départ, on ne voulait pas signer. Mais à côté de nous, il y avait des policiers avec des matraques et des pistolets. On a eu peur qu'ils nous emprisonnent, sans nous donner à manger. On a eu peur de mourir là-bas. Alors, on a accepté."

Aujourd'hui, il demande aussi à la Suisse - "un pays où l'on croyait, en arrivant en Europe, que les droits de l'Homme seraient respectés" dit-il - de suspendre les renvois vers la Croatie: "On ne veut pas retourner là-bas, revivre l'enfer. C'est pire qu'au Burundi. On souhaite que la Suisse traite nos dossiers."

La Suisse en a justement la possibilité, explique Sophie Guignard. "Dans les accords de Dublin, il y a une clause de souveraineté: chaque Etat peut ainsi décider, pour des raisons humanitaires, qu'il va être responsable de la demande d'asile de ses personnes. La Suisse a les moyens juridiques et la possibilité matérielle d'accueillir ces demandeurs d'asile."

Réponse du SEM

Contacté par RadioFr., le Secrétariat d'Etat aux migrations répond qu'il a mené des "investigations approfondies" sur la situation en Croatie, auprès de l'ambassade de Suisse en Croatie, d'ONG locales, d'organisations internationales (comme l'Agence des Nations-Unies pour les réfugiés ou l'Organisation Internationale pour les migrations), ou encore auprès des autorités croates.

Selon son porte-parole Samuel Wyss, ces recherches concluent qu'"aucun indice de faiblesses systémiques générales dans le système d'asile et d'accueil croate n'a pu être constaté à ce jour". Pour le SEM, il n'y a donc pas de raison de suspendre les renvois vers la Croatie. Le SEM assure également examiner "soigneusement chaque demande d'asile" et évaluer au cas par cas si le retour dans un Etat Dublin est admissible.

Marge de manœuvre des cantons

Une copie de la lettre ouverte adressée au SEM par ces différents collectifs a aussi été envoyée aux cantons. "Parce que les cantons peuvent aussi décider de ne pas exécuter la décision du SEM. Ils ont une marge de manœuvre, détaille-t-elle, même si c'est vrai qu'il peut y avoir des conséquences financières et que les cantons peuvent se voir couper des subventions pour les personnes en question, s'ils n'exécutent pas les renvois à temps."

En attendant, Christian doit vivre ou plutôt survivre, en sachant qu'il pourra à tout moment être renvoyé en Croatie. Une angoisse insoutenable, qui le prive de sommeil. Les différents collectifs, après avoir alerté l'opinion publique, cherchent maintenant des relais au niveau politique.

*Le prénom a été changé pour préserver son anonymat

RadioFr. - Maëlle Robert
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