Fraudes et défiance: Ruag à nouveau épinglée

Le Contrôle des finances livre un audit sévère envers le partenaire technologique de l'armée. La Confédération a potentiellement été spoliée de dizaines de millions de francs.

Depuis la dissociation de Ruag en 2020, cinq directeurs généraux et trois directeurs des finances se sont succédé à la tête de l'entreprise d'armement. © KEYSTONE

Dans trois audits publiés lundi, le Contrôle fédéral des finances (CDF) a décortiqué la gestion et le pilotage de Ruag MRO. Soupçon de fraude, climat de confiance insuffisant, manque de transparence et de continuité, culture de l'erreur trop peu développée: les conséquences sont lourdes, critique-t-il, appelant à des améliorations.

L’audit du gendarme de l’administration montre notamment qu’un ancien cadre a certainement commis des fraudes, que les alertes ont été négligées par la direction et que des mouvements étranges ont été opérés dans les stocks. La Confédération a potentiellement été spoliée de plusieurs dizaines de millions de francs. Une situation grave, insiste le directeur du Contrôle des finances, Pascal Stirnimann.

Trop d'instabilité

Depuis la dissociation de Ruag en 2020, cinq directeurs généraux et trois directeurs des finances se sont succédé à la tête de l'entreprise d'armement. Ces nombreux changements ont entravé la mise en place de processus de gestion et d'un pilotage stable, estime le Contrôle des finances.

Le manque de continuité n'a pas permis de créer un rapport de confiance avec le conseil d'administration. L'entreprise n'est pas encore parvenue à mettre en place une communication transparente ni une gestion saine des erreurs, pourtant essentiels à une entreprise d'armement.

La commission de gestion du Conseil des Etats est très préoccupée par les conclusions du Contrôle des finances. Elle pointe en particulier la collaboration insuffisante entre le propriétaire de Ruag, c'est-à-dire la Confédération au travers du Département de la défense, et l’entreprise elle-même.

Cadre impliqué dans des fraudes

A la demande de la Délégation des finances du Parlement, le Contrôle fédéral des finances s'est penché une nouvelle fois sur les chars Leopard 1 et 2. Des irrégularités ont été constatées lors de leur achat.

Selon le rapport de l'instance de contrôle, les éléments sont suffisants pour soupçonner des cas de fraude graves, actes pénalement répréhensibles. Au moins un ancien cadre, qui cumulait des fonctions en Suisse et en Allemagne, serait impliqué. Avec sa femme et un intermédiaire allemand, il aurait détourné du matériel de l'armée. Le gendarme financier de la Confédération constate notamment que des pièces de rechange d'occasion de chars Leopard 1 et 2 ont été enregistrées sommairement dans le système de gestion des stocks de Ruag.

Une partie a été affectée à Ruag GmbH en Allemagne. Estimée à environ trois millions de francs, elle a été revendue au partenaire commercial allemand. Une analyse montre que la valeur effective de ces pièces atteignait 48 millions. Une autre partie a été stockée en Suisse. Sa valeur a été évaluée par le cadre à 1,5 million, mais en réalité elle n'est que d'environ 400'000 francs.

Des factures ont été falsifiées. Différentes désignations ont été utilisées pour le même matériel. S'ajoutent encore des amendes et des arriérés de TVA sur les activités commerciales en Italie.

Le Contrôle des finances recommande à Ruag MRO de dénoncer immédiatement aux autorités de poursuite pénale les faits suspects. Par ailleurs, Ruag doit intenter une action civile afin de soumettre à temps les demandes de remboursement et les demandes en réparation. Une procédure pénale est en cours en Allemagne contre le cadre impliqué pour corruption.

Dérives inacceptables

Dans un communiqué, Ruag MRO estime que "ces dérives et ces comportements inadaptés sont inacceptables". La nouvelle direction est consciente de sa responsabilité et va remédier entièrement aux manquements passés et prendre des mesures concrètes.

Des poursuites judiciaires ont été lancées. Des changements au niveau personnel sont engagés. Ruag MRO annonce également tout mettre en oeuvre pour améliorer la situation et le respect des règles de conduite et de conformité. Cette réorganisation est prévue pour le deuxième trimestre de cette année.

Pour M. Stirnimann, "Ruag a de nombreux défis à gérer. L'avenir nous dira si elle parviendra à mettre en œuvre les recommandations. Il y a beaucoup à faire".

ATS / RadioFr. - Serge Jubin, correspondant parlementaire
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