Racisme: "Se désolidariser de ce rire-là, c'est une action"
La semaine contre le racisme dure jusqu'au 30 mars à Fribourg. Entretien avec Kaziwa Raim-Rotzetter, qui fait du stand-up pour combattre les discriminations.

Radio Fribourg: Vous présentez ce soir un spectacle de stand-up au Nouveau Monde. Le stand-up pour vous, c'est une première ?
Kaziwa Raim-Rotzetter: Alors oui, c'est une première. C'est vrai que je me suis fait un essai au début du mois, durant les soirées Strap stand-up, et c'était plutôt pas mal, mais c'est quand même un nouvel exercice.
Dans ce spectacle, vous racontez justement comment le processus d'intégration vous a poussé à changer votre nom, à redéfinir votre identité, jusqu'à devenir pratiquement une toute autre personne. Vous pensez que Kaziwa Raim, c'est un nom difficile à porter en Suisse ?
Je constate malheureusement que c'est bien le cas. Mon stand-up, évidemment qu'il est inspiré de mon vécu. Je suis originaire du Kurdistan. Je suis arrivée ici en tant que réfugiée politique avec ma famille, quand j'étais encore enfant. J'ai grandi ici, et malheureusement j'ai constaté que s'appeler Kaziwa, c'était pas évident sur le marché du travail. Malheureusement, j'ai dû faire des choix, et à la naturalisation, j'ai pu ajouter un deuxième prénom, Lisa, et c'est pour ça qu'en faisant des tests pour des jobs, j'ai remarqué que Lisa avait vachement plus la côte que Kaziwa, malheureusement.
Pourquoi avoir voulu faire de l'humour avec ces expériences négatives que vous avez vécues ?
Quand on travaille sur les injustices, sexistes, racistes, homophobes, H24, vous imaginez l'ambiance, ça déprime toi et les personnes autour de toi. Donc moi j'ai cherché un moyen d'alléger un peu mon combat et mon domaine, et j'ai pensé à l'humour. Et quand j'ai pensé à l'humour, forcément j'ai pensé aussi aux blagues qu'on m'a fait. Depuis 2001, si je suis kurde, forcément il y a l'amalgame avec Ben Laden, les tours jumelles, donc forcément j'ai une bombe, enfin voilà, vraiment n'importe quoi en général. Et du coup, je me suis intéressée aux théories de l'humour, et j'ai découvert qu'il y avait deux façons de faire de l'humour. Il y a le punching down, qui est justement les blagues qui vont mettre à terre des personnes et des minorités qui sont déjà opprimées, comme là les Kurdes par exemple. Et de l'autre côté, il y a une alternative qui est le punching up, et qui justement est un humour critique et non discriminant qui permet de remettre en question l'ordre établi et surtout les hiérarchies sociales. Concrètement, il s'agirait de faire des blagues sur Elon Musk, Trump, des personnes qui sont en position de pouvoir.
Il y a certaines plaisanteries qui ne sont pas acceptables pour vous ?
Oui, et je vous le dis en toute humilité, parce que moi je reviens de très loin. J'avais un humour extrêmement noir, très problématique je dirais, tout le monde en prenait pour son compte, et aujourd'hui quand je vois à quel point l'humour joue un rôle dans la perpétuation des stéréotypes et des clichés, je me rends compte que ça ne vaut pas la peine. Et pourtant j'adore rire, donc forcément, j'ai cherché un autre moyen de le faire, et c'est dans ce truc du punching up que je trouve ma voix.
Vous avez beaucoup étudié les questions de discrimination. Est-ce que vous avez réussi à trouver votre stratégie sur comment réagir quand on est face à ce genre d'humour ?
Personnellement, je ne suis pas quelqu'un qui a peur du conflit, donc je ne dis pas que c'est pour tout le monde, mais moi je confronte. Si la personne dit une blague raciste sur les noirs, les arabes, je ne rigole pas. En fait, il n'y a rien de plus malaisant qu'une blague qui tombe à l'eau. Si en plus, la personne insiste, je vais dire, écoute, moi je ne trouve pas ça drôle, voilà. Et se désolidariser de ce rire-là, c'est déjà une action contre le racisme.
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