"Elle s'est rendue au Moléson en voiture banalisée"

La fille de Staline s'est cachée à Fribourg durant la guerre froide. L'historien Jean-Christophe Emmenegger revient sur cette histoire.

Jean-Christophe Emmenegger a écrit un livre sur la venue de la fille de Staline dans le canton, paru en 2018. © Wikipédia/Frapp

Le destin fribourgeois hors du commun de Svetlana Allilouïeva, fille du chef de guerre soviétique Joseph Satline, est retracé dans un documentaire qui sort ce mercredi au cinéma. Il s'appelle « Naître Svetlana Staline ». L'historien fribourgeois Jean-Christophe Emmenegger y a pris part.

Radio Fribourg : En 1967, Svetlana Allilouïeva a 40 ans et la guerre froide bat son plein. Ses liens avec le parti communiste rompus, elle décide de quitter l'URSS et fuir aux États-Unis. Mais les Américains ont peur de raviver des tensions et préfèrent demander à la Suisse de l'accueillir, ce qu'elle accepte. Elle sera cachée dans un couvent fribourgeois. Comment s'est passé son séjour?

Jean-Christophe Emmenegger: Elle est d'abord envoyée à Sainte-Antoine. Elle y restera environ deux semaines. La presse menace de la découvrir à nouveau. Les autorités fédérales doivent trouver une solution rapide. Avec l'accord secret de l'évêque de l'époque, François Charrière de Fribourg, ils la logent dans le Monastère de la Visitation à la rue de Morat. C'est plutôt incroyable, car même en pleine ville de Fribourg, ils étaient sûrs qu'elle ne serait pas découverte. Pour remettre du contexte, le rédacteur en chef de La Liberté de l'époque était lié aux associations catholiques avec l'évêque. Il devait être dans la confidence. Grâce à leur relation, tout le monde était convaincu qu'aucune information ne fuiterait.

Elle va pouvoir vivre plusieurs semaines normalement.

Oui, presque comme une touriste ordinaire. À l'exception que le chef de la police de sûreté, Louis Schiffel, et son plus fidèle inspecteur, Arnold Tinguely, la surveillaient. Ils étaient ses gardes du corps tout au long de son séjour. Cependant, elle va à la messe de Pâques, à la cathédrale Saint-Nicolas ou se rend au Moléson en voiture banalisée. Alors même qu'elle était sous le coup de menaces d'enlèvement, voire d'assassinat. Une telle liberté paraît aujourd'hui invraisemblable.

Comment expliquer que personne ne l'ait reconnue ?

Tout simplement, il n'y avait aucune image d'elle qui était parue dans les médias. Ici, personne ne savait à quoi elle ressemblait. Elle s'est aussi rendue dans le restaurant de la femme de l'inspecteur Tinguely, à Bourguillon, et personne ne l'a reconnue.

Quelle importance a eu ce séjour fribourgeois dans sa vie ?

Il a été grand. Dans des lettres des années 1980 et 1990, que je me suis procurées, elle s'adresse à une famille fribourgeoise qu'elle avait rencontrée. Elle y raconte sa nostalgie de la ville et des bords de la Sarine. Pour elle, cette époque rimait avec liberté. Elle était insouciante. Même si elle n'a pas pu le faire, une fois plus âgée, elle a exprimé le désir de revenir à Fribourg.

Au-delà de sa notoriété, vous vous êtes intéressé aux mécanismes utilisés par la Suisse pour protéger Svetlana Allilouïeva. Certains moyens mis en place font sourire aujourd'hui.

Oui, c'est le cas. Par exemple, quand elle atterrit à Genève la première fois, des policiers fédéraux se chargent de l'emmener sur le lieu de son premier séjour. Pour ce faire, ils passent par l'Auberge des XIII Cantons, à Châtel-St-Denis. La gérante est la mère de l'un des policiers cantonaux. Sur le parking, ils changent les plaques et installent un porte-skis sur le toit de la voiture fédérale. Ils font croire qu'il s'agit d'un véhicule de touriste et se dissimulent dans le trafic une fois de retour sur la route. Il existe plein d'anecdotes comme celle-ci.

Écouter le podcast complet:

RadioFr. - Maëlle Robert
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