"J'ai douté, mais je n'ai aucun regret"

Après 12 ans passés au Conseil fédéral, le président de la Confédération Alain Berset tirera sa révérence en fin d'année. Interview.

Après 8 ans au Parlement et 12 au Conseil fédéral, le fribourgeois Alain Berset tire sa révérence. © La Télé

La Télé/RadioFr.: Vous quittez votre poste en fin d'année. Vous réjouissez-vous de ne plus être sous le feu des projecteurs?

Alain Berset: Oui, car quand on fait de la politique, notre intention première est de s'investir pour l'organisation de la société, de défendre des projets et d'en débattre. Cependant, l'exposition que nous donne notre métier induit des éléments subsidiaires, notamment de communication. Et bien qu'ils ne soient pas toujours désagréables, ces aspects ne vont pas me manquer.

À l'heure de tirer le bilan, êtes-vous satisfait de ce que vous avez accompli, ou vous reste-t-il de la frustration pour certains dossiers encore en suspens?

Le travail n'est jamais réellement terminé. Depuis 1848, il n'y a pas eu de rupture complète du gouvernement. Être partisan d'une telle continuité signifie qu'à notre arrivée, des dossiers sont déjà en cours, et quand nous partons, des dossiers n'ont pas fini d'être traités. De fait, notre rôle est de donner le maximum dans le temps qui nous est imparti. J'ai le sentiment de l'avoir fait et, par conséquent, je ne peux pas repartir frustré.

Vous avez fait 12 ans au département de la santé et durant votre mandat, les primes maladies ont continué d'augmenter. Qu'est-ce qui fait que vous n'ayez pas réussi à les stopper?

Tout d'abord, les primes ont moins augmenté ces douze dernières années que les douze années précédentes. Dans un second temps, les primes en tant que telles seraient faciles à diminuer si les factures pesaient sur les poches des ménages. Contrairement à d'autres, je me suis opposé à ceci, ainsi qu'à la réduction des catalogues, qui feraient, par exemple, que certaines opérations ne seraient plus prises en charge par l'État. De même, il serait possible d'instaurer une franchise minimale à 1'000 CHF, mais cela se répercuterait sur chacune et chacun qui devrait payer de sa poche. Pour moi, le cœur du système maladie est la solidarité. Au final, l'augmentation des primes s'explique par une augmentation de la démographie et du nombre de médicaments, mais ce n'est pas alarmant. Cependant, la pression financière reste sur les épaules des ménages et pour y remédier, l'exécutif a besoin du Parlement, qui n'a pas assez considéré ces questions dans le passé. 

Alors que la situation n'est pas réglée, comprenez-vous l'inquiétude des ménages suisses, quand une personne comme vous, ministre socialiste, quitte le gouvernement sans avoir pu changer la situation? Les gens peuvent se demander qui sera capable de le faire si ce n'est pas vous. 

Il s'agit d'un système solidaire et je ne peux pas le faire seul. Cela fait cinq ans que nous avons déposé des projets très exigeants pour maitriser ces coups, mais le Parlement n'a pas vraiment agi. Le premier élément est la faible augmentation des primes dans les années précédentes qui n'a pas alarmé les députés jusqu'à cette année. Pourtant, je les prévenais depuis 2018 de l'explosion imminente des prix si rien ne changeait. Cet élément devra donc être repris dans le futur. Pour y remédier, une initiative populaire qui vise à soutenir les personnes ayant des difficultés à payer leurs primes va voir le jour.

Vous étiez le capitaine du bateau lors de la pandémie de covid. Comment avez-vous vécu cette période particulière?

C'était difficile. Je suis heureux d'avoir pu aborder cette période avec huit ans d'expérience dans les bagages, sinon je pense que j'aurais coulé assez vite. Quand on siège au gouvernement, il s'agit normalement d'être un capitaine de beau temps. Mais soudainement, une tempête brutale a frappé le pays. Durant cette période, j'ai énormément appris, mais rien n'était facile. Je ne pensais pas être capable de supporter une telle charge de travail, autant mentalement que physiquement. De plus, j'incarnais aussi le visage du gouvernement à cette période, ce qui faisait de moi le récepteur de la frustration et de la violence des personnes insatisfaites. Bien qu'il fallût gérer cela, mon rôle imposait de donner le maximum, pour permettre au pays de traverser la tempête le plus facilement possible. J'ai eu des moments de doutes, où j'ai remis en cause ma capacité à changer les choses, mais je suis satisfait d'avoir été au bout. Je n'ai pas de regret. 

Quel regard portez-vous sur la Suisse à présent?

Depuis quatre ans, les crises ne se succèdent plus, mais se superposent, jusqu'à se nourrir entre elles parfois. Entre le covid, la guerre en Ukraine, les problèmes en matière d'énergie ou l'explosion des conflits au Proche-Orient, la situation est source de stress et de préoccupation. La société voit, pas si loin de chez elle, beaucoup d'incertitudes et d'insécurité se développer, ce qui impacte la gestion du pays. Certes, en comparaison à d'autres nations, La Suisse va bien. Mais cet équilibre est fragile, car les crises ont tendance à renforcer les inégalités, même chez nous. Je ne suis pas préoccupé, mais j'ai conscience qu'il s'agit d'une situation à prendre au sérieux.

Vous allez prendre quelques mois sabbatiques début 2024, comment allez-vous occuper vos journées?

Notamment après ces quatre dernières années, je ressens le besoin de me reposer. Je n'ai aucun regret sur le travail effectué, mais je crois que le temps est venu de ralentir un peu. Mon agenda est bien allégé en début d'année, ce dont je me réjouis, mais je sais que je ne vais pas me tourner les pouces très longtemps. Je suis curieux de l'avenir.

Vous avez, par ailleurs, rencontré le président français Emmanuel Macron récemment. Certains vous prédisent un avenir dans une institution internationale. Cela vous tenterait?

À chaque rencontre avec un responsable d'une agence internationale, on me destine à un poste à ses côtés, que ça soit le secrétaire général de l'ONU ou le directeur de l'OMS. Ce n'est pas parce que je rencontre Emmanuel Macron que je vais devenir ministre de la République française. Je ne fais que mon travail, et celui-ci implique des contacts internationaux, particulièrement importants en ces temps de crise. Dans ces rencontres, il ne faut rien voir d'autre que quelqu'un qui fait son travail. L'échange avec Emmanuel Macron était un moyen de traduire les liens étroits qu'entretiennent la Suisse et la France, et ce fut un très bon moment.

Quel conseil donneriez-vous à votre successeur?

Outre le fait de tout donner sans jamais se décourager, je lui dirais de ne pas avoir peur de se fâcher avec un peu tout le monde, car dans le domaine de la santé, vous ne pouvez pas toucher au système sans que quelqu'un perde quelque chose. Néanmoins, ce n'est certainement pas un argument pour ne pas agir.

La Télé - Karin Baumgartner / Adaptation web: Théo Charrière
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