Justice fribourgeoise: "le système est en danger"

La justice fribourgeoise, en manque de personnel, est au bord de l'effondrement. Interview avec Johannes Frölicher, le président du Conseil de la magistrature.

Le Conseil de la magistrature a présenté ce jeudi son rapport au Grand Conseil. © KEYSTONE

La justice fribourgeoise serait au bord de l'effondrement par manque de moyens. C'est l'alerte lancée par le Conseil de la magistrature qui parle au nom de tous les tribunaux du canton. Johannes Frölicher, son président, nous explique la situation.

RadioFr.: Johannes Frölicher, vous présentez votre rapport sur l'année 2024 au Grand Conseil fribourgeois. Vous écrivez que la situation est extrêmement grave. Vous avertissez sur le fait que le bon fonctionnement de la justice est menacé. Les mots sont forts. Vous le pensez vraiment?

Johannes Frölicher: Oui, à l'évidence. On est l'autorité de surveillance, on a le devoir de rendre des rapports au grand conseil pour justement décrire cette situation. On le fait sur la base d'inspections annuelles et sur les chiffres qu'on récolte. Ça fait depuis des années qu'on essaye de trouver des moyens pour engager du personnel supplémentaire. Aujourd'hui, on voit vraiment que le système est en danger.

On voit les premiers craquements du système?

On le voit à plusieurs niveaux. En interne, il y a des juges qui démissionnent en raison de la charge de travail. On vient encore de recevoir des annonces de burnout. Le personnel souffre. Cela créé des problèmes supplémentaires puisqu'il y a des personnes expérimentées qui partent, le travail doit être fait par ceux qui n'ont pas l'expérience et donc ça amène des ralentissements. On le voit de l'extérieur, il y a des délais de plus en plus longs pour obtenir un jugement. Des situations critiques qui nécessitent des interventions immédiates créent une charge énorme pour tout le monde.

Il y a des juges qui traitent 500 affaires de divorce ou de droit de garde par année. Est-ce qu'un juge qui traite autant de dossiers peut encore bien faire son travail?

Je ne pense pas qu'on peut dire que les magistrats ne font pas bien leur travail. Ils sont conscients de leur tâche. Je pense que la dernière chose qu'un juge ferait, c'est de rendre des jugements qu'il estime ne pas être corrects ou mal recherchés. Mais ça créé une pression de plus en plus grande, et un certain désarroi. C'est surtout au niveau des délais que la situation est problématique.

Si on parle d'enfants qui doivent être placés, de personnes qui doivent être hospitalisés, ou encore de mesures à prendre pour lutter contre les violences domestiques, on ne peut pas avoir de retard. Est-ce que ces situations sont encore gérables aujourd'hui ou est-ce que ça pose déjà des problèmes?

Oui, il y a des situations qui posent un problème, aussi en raison d'autres facteurs. La justice est un système complexe. Si vous prenez l'exemple de placements de personnes qui sont en situation de santé difficile, ou bien si vous avez un enfant ingérable, que vous devez placer, il faut déjà avoir l'accès au juge, ça, c'est une chose. Là, si des situations urgentes se présentent, les magistrats sont capables de faire la différence et d'en faire la priorité. Mais il y a un manque de moyen partout et vous devez encore trouver une place. C'est difficile, pour tout le monde. C'est une pression psychologique sur tous les partis qui prennent part à la procédure.

Ce n'est pas la première fois que vous lancez l'alerte. Pourquoi n'êtes-vous pas écoutés?

La justice est bien le troisième pilier, mais on n'a pas la main sur le budget. On doit faire des propositions au Conseil d'Etat qui présente le budget au Grand Conseil, et c'est finalement lui qui décide. On n'est pas indépendant du financement de l'Etat, donc on fait nos demandes comme les autres services.

On connaît la situation financière du canton de Fribourg, des millions qui doivent être économisés ces prochaines années. Vous avez quand même un espoir, même maigre, d'avoir plus de personnel pour les tribunaux, pour la justice?

Il faut l'avoir, parce qu'un système judiciaire qui s'effondre, c'est hautement problématique. Vous voyez, dans un pays comme l'Italie, une procédure dure 10 ans, les partis perdent leur confiance en l'Etat de droit, et c'est un problème. On est quand même un pilier du fonctionnement de notre démocratie.

L'idée d'une réforme a été lancée, pour avoir une organisation plus centralisée, de gagner aussi en efficience. Est-ce que ça peut régler le problème de la justice?

Ça ne va pas régler le problème, mais ça va aider avec les moyens qu'on nous mettra à disposition. Il est évident que des plus grandes entités permettent une meilleure organisation. Il y a des synergies qui peuvent se créer. Par exemple, aujourd'hui, chaque président d'un tribunal, il y a sept tribunaux d'arrondissement, doit s'occuper de sa comptabilité. Derrière, le Service de la justice doit faire des corrections, et intervenir pour que tout le monde le fasse de la même manière. Ça, ça fait typiquement partie des choses qui créé des synergies si on centralise.

Écoutez l'interview complète:

RadioFr. - Loïc Schorderet / Adaptation web: Mattia Pillonel
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