La Suisse se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne

Les projections climatiques pour les années à venir ont été présentées ce mardi. La climatologue Valentine Python les décrypte.

Valentine Python est docteure en climatologie, conférencière et consultante scientifique. © RadioFr.

Le réchauffement climatique se ressent jusque dans notre quotidien. De plus en plus souvent, le thermomètre va dépasser les 30°C la journée et les 20°C la nuit. Les pluies seront quant à elles plus fortes et plus fréquentes. Et la neige se raréfiera encore. Ce sont les projections futures présentées mardi par MétéoSuisse, qui permettront ensuite à la Confédération, aux cantons et aux communes de prendre en main leur transition climatique. Lauriane Schott s’est entretenue avec Valentine Python, docteure en climatologie, conférencière et consultante scientifique.

Ces projections climatiques, à quoi est-ce qu’elles servent concrètement?

Valentine Python : Tout d’abord, elles permettent de mettre à jour les scénarios pour la Suisse. Les précédentes - de 2018 - reposaient sur les précédents scénarios globaux du GIEC, le groupe intergouvernemental d’experts sur les changements climatiques qui produisent un rapport tous les sept ans. Le rapport Suisse 2018 reposait sur le rapport 2013-2014 du GIEC et celui de 2025 repose donc sur les derniers rapports globaux de 2021-2022.

Et quelle est du coup l’utilité de ces projections?

Tous les sept ans, on a des milliers d’études de par le monde qui rendent compte des changements, que ce soit les réponses des écosystèmes ou les changements au sein même du système climatique. L’évolution de la distribution des précipitations par exemple, ou l’évolution de la température moyenne globale. À l’échelle de la Suisse, il s’agit de faire la même chose à une échelle plus fine, par région, afin de mieux comprendre comment le climat a évolué et continuera d’évoluer pour pouvoir mieux s’y adapter.

Ce rapport indique que la Suisse se réchauffe en moyenne deux fois plus que la moyenne mondiale. Comment l’expliquer?

Ce n’est pas nouveau. Depuis le début du phénomène du réchauffement climatique, on observe ce doublement de la Suisse par rapport à la moyenne mondiale. Les régions qui se réchauffent le plus, c’est le nord de l’hémisphère Nord. Et pourquoi la Suisse ou ces régions-là se réchauffent plus que la moyenne? C’est parce que l’hémisphère Nord contient plus de terres que l’hémisphère Sud, où il y a plus d’océans. Les terres se réchauffent plus vite que les océans.

Ensuite, en Suisse, on est une région continentale et de montagne. On a une fonte accélérée des glaciers, une diminution importante aussi de la couverture neigeuse. Là où on avait avant des surfaces claires qui reflétaient beaucoup le rayonnement du soleil, on a désormais des surfaces plus foncées de roches par exemple, qui absorbent le rayonnement qui se transforme ensuite en chaleur. Donc, on a un phénomène de réchauffement local qui vient s’ajouter au réchauffement global. On parle de rétroaction positive ou effet boule de neige.

Cela signifie que même si on fait des efforts, il y a quand même la configuration de la Suisse qui fait qu’on est de toute façon désavantagé par rapport à ce réchauffement climatique?

Oui, effectivement. On a une vulnérabilité supplémentaire comme l’ensemble des pays de montagne tant au niveau de cet effet rétroactif mais aussi au niveau de l’instabilité des terrains.

Ce rapport nous dit aussi que les villes sont particulièrement touchées par ce réchauffement climatique. Pourquoi?

Les villes cumulent les vulnérabilités parce que la population y est concentrée. Les plus grosses villes sont en plaine donc là où le réchauffement est le plus intense. On a également ce qu’on appelle des îlots de chaleur. En zone d’agglomération, là où les sols sont artificialisés, on n’a pas d’évapotranspiration comme le fait la nature, les sols recouverts de végétaux et en particulier les arbres qui vont rediffuser l’énergie au fur et à mesure qu’elle s’accumule tout au long de la journée. Sur un sol minéral au contraire, la chaleur va s’accumuler et pendant la nuit la chaleur est rediffusée.

C’est donc pendant la nuit que vous allez avoir entre 5 et 10 degrés de plus en ville, mettant ces zones en condition de canicule alors que ce n’est parfois pas le cas ailleurs. Les situations caniculaires sont encore plus fréquentes et le nombre de jours caniculaires et de nuits tropicales en particulier sont bien plus nombreuses dans les villes et les zones agglomérées que dans les zones de campagne ou de nature.

Et tout ça a un impact aussi sur la santé?

Évidemment, parce qu'il y a une concentration de la population dans les quartiers où il y a de moins en moins d’espaces verts et c’est le cas aussi des populations qui, socio-économiquement, habitent dans des immeubles. Si on ne veille pas à végétaliser massivement ces zones-là, ces personnes seront plus vulnérables. Ça se cumule à d’autres vulnérabilités : les personnes malades, les personnes âgées et qui vivent seules, comme on l’a bien vu en 2003, sont particulièrement exposées. Il s’agit aussi de changer les habitudes, les comportements, d’adapter finalement nos habitudes, ne plus sortir en plein milieu de l’après-midi et plutôt faire la sieste comme le font les populations méditerranéennes.

Dans certaines villes, il y a des mesures qui sont prises pour lutter contre ces îlots de chaleur en instaurant des îlots de fraîcheur. Est-ce que ces mesures suffisent pour lutter contre ces conséquences?

Ça commence. On a malheureusement pris du retard parce que pour adapter toutes les infrastructures en ville, il faut créer des « villes éponges », c’est-à-dire enlever beaucoup d’asphalte, donner moins de place aux parkings, aux voitures ou au moins utiliser d’autres matériaux, augmenter la végétalisation, plus d’eau de surface etc. Ce sont des processus politiques locaux qui prennent du temps et c’est une transformation des bâtiments qui demande beaucoup d’argent. Face à ces exigences, c’est tout aussi coûteux pour les infrastructures en montagne comme dans le Valais, ou l’adaptation de l’agriculture et des forêts. Tout ceci coûte de l’argent et il faudrait que la Confédération, qui a une stratégie d’adaptation au réchauffement climatique, maintienne un financement, un soutien financier auprès des cantons et même des communes. Or, les coupes budgétaires annoncées touchent également la stratégie fédérale d’adaptation, ce qui est un non-sens.

Aujourd’hui, on parle de ces projections climatiques futures qui ont été présentées hier, mais cette année marque aussi les 10 ans de l’adoption de l’accord de Paris sur le climat. Le média français Le Point a justement fait un bilan aujourd’hui. Il nous dit qu’il y a eu des progrès mais qu’on peut toujours faire mieux, évidemment. Et cette question qui revient : est-ce qu’aujourd’hui les objectifs climatiques, à savoir limiter à moins de 2 degrés le réchauffement, sont vraiment encore atteignables?

Oui, ils le sont mais il faut vraiment maintenant s’activer, il faut aussi lutter contre la désinformation et l’obstruction climatique qui est malheureusement véhiculée désormais aussi par des gouvernements très puissants, c’est le cas de Donald Trump aux États-Unis qui est le premier pays producteur de pétrole derrière la Russie et l’Arabie Saoudite. Ces acteurs-là ainsi que d’autres acteurs privés diffusent énormément de désinformation. C’est une des principales raisons pour laquelle nous sommes tant en retard dans la politique climatique. On aurait dû commencer à diminuer de 43% nos émissions pour se limiter à 1,5 °C. On a pour l'instant réduit de 3% à l’échelle globale nos émissions. Il faut absolument accélérer ces efforts-là. Il faut aussi comprendre que si on se limite, si on n’a pas réussi à respecter le 1,5, alors il faut respecter le 1,6, c’est toujours mieux que 1,7, qui est toujours mieux que 1,8. Chaque dixième de degré évité compte énormément. Mais il ne faut pas faire la même erreur, attendre d’être à 2 comme on a attendu d’être à 1,5 pour réagir, parce qu’une fois qu’on est à 2, notre capacité d’adaptation et de résilience diminue énormément.

Réécoutez l'entretien: 

RadioFr. - Lauriane Schott
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