L'armée forme un gouvernement au Bangladesh
La Première ministre du Bangladesh a fui la capitale lundi, avant l'assaut de son palais par des manifestants antigouvernementaux. Le chef de l'armée à annoncer la formation d'un gouvernement intérimaire.
"Le pays a beaucoup souffert, l'économie a été touchée, de nombreuses personnes ont été tuées. Il est temps de mettre fin à la violence", a déclaré le général Waker-Uz-Zaman, annonçant la démission de la dirigeante de 76 ans, Sheikh Hasina, lors d'une adresse à la nation diffusée par la télévision d'Etat bangladaise, un mois après le début des manifestations antigouvernementales.
Il a promis que les responsables des meurtres commis pendant les manifestations seraient poursuivis en justice. Au moins 20 personnes ont été tuées lundi, selon la police, sur un total de plus de 300 depuis le début des manifestations en juillet, selon un bilan de l'AFP établi à partir de données de la police, de responsables et de sources hospitalières.
Des témoins et des policiers ont rapporté des affrontements entre groupes rivaux. Lundi, Sheikh Hasina a fui la capitale Dacca par hélicoptère, avant que des milliers de manifestants ne prennent d'assaut son palais, a indiqué à l'AFP une source proche de la dirigeante.
Vers Londres?
Selon une source de haut niveau en Inde voisine, Mme Hasina a ensuite "transité" par ce pays, "mais pour se rendre à Londres". L'armée bangladaise a affirmé qu'elle avait fermé l'aéroport lundi soir mais sans fournir de raison.
Fille aînée de Sheikh Mujibur Rahman, le père fondateur du Bangladesh qui a pris son indépendance du Pakistan en 1971, Sheikh Hasina était revenue au pouvoir en 2009, après un premier mandat entre 1996 et 2001. Des images diffusées par la chaîne bangladaise Channel 24 ont montré une foule de manifestants courant dans l'enceinte du palais de Mme Hasina.
"Nous voulons un Bangladesh sans corruption, où tout le monde peut exprimer son opinion librement", a affirmé Monirul Islam, un jeune homme de 27 ans parmi les milliers de manifestants devant la résidence. "Le temps est venu de leur faire rendre des comptes pour leurs tortures", a affirmé un autre manifestant, Kaza Ahmed.
L'annonce de la démission de Mme Hasina survient alors que des centaines de milliers de manifestants antigouvernementaux ont défilé dans les rues de la capitale lundi. D'après des témoins, de larges foules ont marché dans les rues de Dacca et ont abattu des barrages.
Peu avant la prise d'assaut, le fils de la Première ministre, Sajeeb Wazed, avait exhorté les forces de sécurité à empêcher toute prise de pouvoir. "Votre devoir est d'assurer la sécurité de notre peuple et de notre pays, ainsi que de faire respecter la Constitution", a-t-il écrit sur Facebook.
"Champ de bataille"
Dimanche, de nouveaux heurts entre opposants à Mme Hasina, forces de l'ordre et partisans du parti au pouvoir avaient fait au moins 94 morts dans tout le pays. C'est le bilan le plus lourd en une seule journée depuis le début des manifestations antigouvernementales il y a un mois dans ce pays musulman de 170 millions d'habitants où les étudiants contestent, sur fond de chômage aigu des diplômés, les faveurs dont bénéficient les proches du pouvoir pour devenir fonctionnaires.
Tout Dacca s'est transformé "en champ de bataille" et une foule de plusieurs milliers de manifestants a mis le feu à des voitures et des motos près d'un hôpital, selon une autre source policière. En réaction, le gouvernement avait notamment fermé les écoles et universités et déployé l'armée.
Le pays compte de nombreux diplômés au chômage, et les étudiants exigent l'abolition d'un système de discrimination positive qui réserve un quota d'emplois publics aux familles des vétérans de l'indépendance. Partiellement aboli en 2018, ce système a été restauré en juin par la justice, mettant le feu aux poudres, avant un nouveau retournement fin juillet de la Cour suprême.
La crise sociale s'est muée en crise politique à partir du 16 juillet, quand la répression a fait ses premiers morts, les manifestants réclamant alors la démission de Mme Hasina. "Il ne s'agit plus seulement de quotas d'emplois", a déclaré à l'AFP Sakhawat, une jeune manifestante rencontrée à Dacca. "Nous voulons que les futures générations puissent vivre librement", dit-elle.
Le gouvernement de Mme Hasina a été accusé par des groupes de défense des droits humains d'utiliser les institutions de l'Etat pour consolider son emprise sur le pouvoir et éradiquer la dissidence, y compris en faisant procéder à des exécutions extrajudiciaires de militants de l'opposition.