Le consensus parental pour (mieux) réussir sa séparation
Le canton de Fribourg met en place ce processus. Objectif: limiter les dégâts d'une séparation conflictuelle sur les enfants.
Vous allez bientôt vous marier ? Et bien vous avez une (mal)chance sur deux que ça se termine en divorce. Pardon de cette entrée en matière abrupte, mais les statistiques sont implacables : 53% des mariages échouent dans le canton de Fribourg, soit le 2ème taux le plus élevé du pays et de 10 points supérieurs à la moyenne nationale.
Quand en plus, le divorce se transforme en guerre larvée entre parents, ce sont surtout les enfants qui trinquent. Ils doivent non seulement faire le deuil de leur vie familiale d'avant, mais assister au déchirement des deux êtres qu'ils aiment le plus au monde.
Pas de recette miracle
Alors non il n'y a pas de recette miracle pour réussir parfaitement son divorce. Mais peut-être un moyen de limiter les dégâts.
C'est en tout cas ce qu'espère Mélanie Maillard Russier avec la mise en place du consensus parental. En novembre dernier, le Grand Conseil a validé son développement et accordé 400'000 francs pour lancer sa phase pilote. "Il y a un fort soutien pour ce projet", se réjouit la cheffe du Service fribourgeois de la Justice
Le consensus parental, c'est un nouvel outil déjà expérimenté dans les cantons du Valais et de Vaud. Son objectif: favoriser le dialogue entre les parents, apaiser leurs tensions et les aider à trouver assez rapidement un compromis sur tout ce qui concerne leurs enfants. Et sans que ces derniers ne deviennent les otages du conflit parental
Sandrine Osojnak est première présidente du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois. Après un an de phase test dans les districts d’Aigle, de Lavaux-Oron et de la Riviera-Pays-d’Enhaut, la magistrate est convaincue de l'efficacité du COPAR (consensus parental), fruit d'une collaboration entre la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse, la DGEJ et l'Ordre judiciaire vaudois.
Le COPAR comprend plusieurs étapes sur une période d'environ 5 mois:
- remplir un formulaire de requête : chaque parent fait le point sur ses revenus, ses charges, les frais d'entretien des enfants, quel mode de garde il/elle souhaite, etc
- audition des enfants par le juge
- première audition des parents
- mesures d'accompagnement (5 heures de médiation gratuites, ateliers de co-parentalité)
- deuxième audition des parents
"On a plus de temps qu'avant !" souligne Sandrine Osojnak (Les 2 audiences durent 2h chacune au lieu d'une seule d'environ 1h30). Le consensus parental permet aussi une certaine souplesse. "Les parents peuvent convenir d'un compromis lors de la première audience, le tester et l'ajuster ensuite". L'enfant est entendu très rapidement, avant que le conflit prenne des proportions plus importantes et ne l'impacte trop. Et puis la procédure dans son ensemble est plus rapide que celle d'un divorce "classique".
Cela permet de faire descendre la tension pour pouvoir se parler
Quand ils arrivent au bout d'un processus de médiation, les gens sont en général soulagés, constate Laure Chappaz, avocate et médiatrice dans le canton de Vaud. "La problématique d'une procédure judiciaire, c'est qu'il y a beaucoup de temps entre la séparation et une organisation de la vie séparée". Avec le COPAR, ce délai est raccourci, des solutions provisoires sont rapidement mis en place. "Cela permet de faire descendre la tension pour pouvoir se parler" affirme encore l'avocate.
Autre avantage, les 5 heures de médiation et les ateliers de co-parentalité qui peuvent être proposées comme mesures d'accompagnement sont gratuits. Ce qui n'est pas le cas dans une procédure classique où ce genre de démarche est au frais des requérants. "
A mi-parcours de la phase-pilote, difficile de savoir si les compromis trouvés dans le cadre du consensus parental tiennent sur la durée. En Valais, où le COPAR est en place depuis plus longtemps, les recours suite à des accords pris dans le cadre du consensus parental ont en tout cas fortement diminué. "Et c'est une tendance qu'on commence à voir dans le canton de Vaud" se réjouit Frédéric Vuissoz, directeur adjoint de la DGEJ.
J'étais un peu dubitatif que ça aboutisse à quelque chose
Mais le consensus parental n'est pas la solution miracle à tous les conflits parentaux. "Avec ma future ex-femme, témoigne cet père vaudois, nous avions déjà passé 10 heures en médiation que nous avons payés de nos petits sous et qui n'avaient abouti à rien du tout. Ajouter encore 5 heures de médiation dans le cadre du COPAR, j'étais un peu dubitatif...". Le consensus parental a quand permis à ce couple de trouver un compromis sur la garde partagée de leur fille de 6 ans. Mais pour notre témoin, il porte seulement sur "des points de détail" comme le transfert de l'enfant d'un parent à l'autre. "Ce n'est pas négligeable, concède le futur divorcé, mais on aurait pu régler ça soit par mail, soit par téléphone".
Laure Chappaz elle, évoque deux cas pour lesquels le COPAR a été déterminant. L'un concernait un couple aux relations extrêmement conflictuelles "Je ne les donnais pas gagnants, se souvient l'avocate, mais la médiation a donné des résultats inespérés. Le couple parental parle, sans toutes ces agressions verbales et les enfants ont retrouvé du calme" . Dans l'autre cas, les ex-conjoints avaient l'impression que tout allait bien pour leur progéniture. Mais une médiation a quand même été mise en place et elle permis de trouver un compromis non seulement sur la prise en charge des enfants mais sur l'ensemble de leurs désaccords y compris financiers.
Les avocats aussi gagnants
Et question finances justement, des procédures plus courtes avec des parties plus enclines au dialogue, c'est aussi le risque d'honoraires moins importants pour les avocats. "C'est tout à notre avantage, souligne pourtant Laure Chappaz. Si le consensus parental donne des résultats, les clients auront plus facilement appel au même avocat en cas d'autres problèmes et lui feront une publicité positive. Et en cas d'échec de la procédure, le COPAR permet quand même de comprendre où sont les points qui grippent.
C'est en 2025 que le canton de Fribourg espère pouvoir traiter les premières demandes de consensus parental dans les districts de la Glâne, de la Veveyse et de la Gruyère. Dans un premier temps, Mélanie Maillard Russier ne s'attend pas à une avalanche de cas. Et puis elle sait que le canton peut s'appuyer sur un réseau social et judiciaire solide, sur l'expertise du SSI, le Service social international et sur les expériences menées chez ses voisins vaudois et valaisan. "C'est un gros bateau, admet la cheffe du Service de la Justice. Mais elle reste sereine.