Les universités suisses pionnières pour les femmes

Au 19e siècle, les femmes venaient du monde entier pour étudier en Suisse. Mais la plupart des Suissesses se sont longtemps vues refuser l'accès à l'université.

L'Association suisse pour le suffrage féminin se réunit en assemblée des déléguées le 20 mai 1962 dans une salle de l'Université de Fribourg. © KEYSTONE

La chercheuse genevoise Natalia Tikhonov décrit dans un livre l'intégration des femmes dans les universités suisses comme une avant-garde contradictoire. Alors que, dans la seconde moitié du 19e siècle, de nombreux pays ont créé des universités spécialement dédiées aux femmes, la Suisse a choisi une autre voie.

Les pionnières de l’enseignement supérieur

Dès les années 1860, l'Université de Zurich a accueilli ses premières étudiantes, devenant ainsi l'une des premières universités, avec la Sorbonne à Paris, à ouvrir ses portes aux femmes. En 1867, la Russe Nadejda Souslova a été la première femme à obtenir un doctorat en médecine à Zurich.

L'Université de Berne a suivi cet exemple en accueillant sa première étudiante régulière en 1872. L'Université de Genève s'est ouverte aux femmes dès sa création en 1872, suite à une pétition déposée par des mères genevoises.

Les universités de Lausanne et de Neuchâtel ont également suivi ces exemples. Celles de Bâle et de Fribourg ont en revanche été plus réticentes : Bâle n'a admis des femmes qu'en 1890, Fribourg n'a suivi qu'en 1905.

Un accès plus difficile pour les Suissesses

Les universités suisses ont rapidement attiré des jeunes femmes issues de familles aisées d'Europe et de Russie. La Suisse est alors devenue un lieu d'études très apprécié des étrangères et le nombre d'étudiantes a fait un bond en avant : en 1906, un quart des étudiants étaient des femmes.

Cependant, plus de 90 % des femmes inscrites dans les universités suisses étaient des étrangères. En effet, la plupart des Suissesses ne remplissaient pas les conditions d'admission.

L’une des principales barrières était l’exigence d’avoir fréquenté un gymnase. Or, les écoles de jeunes filles en Suisse ne proposaient pas cette possibilité. Pour être admises à l’université, elles devaient suivre des cours privés coûteux et passer des examens d’entrée. Le nombre d’étudiantes suisses est donc resté longtemps extrêmement faible.

Un afflux d’étudiantes russes

Une grande partie des femmes inscrites dans les universités suisses étaient originaires de Russie. Le mouvement féministe russe, très actif dès la seconde moitié du XIXe siècle, militait pour un meilleur accès à l’éducation pour les femmes, ce qui a conduit à la création de gymnases féminins.

Cependant, en 1863, après des émeutes estudiantines, l’Université de Saint-Pétersbourg a exclu les femmes des études supérieures. Beaucoup d’entre elles ont alors choisi la Suisse pour poursuivre leur formation universitaire.

Une reconnaissance tardive des étudiantes suisses

Selon Mme Tikhonov, cette situation ambiguë a perduré jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Ce n’est qu’avec l’ouverture progressive des gymnases aux filles en Suisse alémanique et l’adaptation des écoles de jeunes filles en Suisse romande que les Suissesses ont pu accéder plus facilement à l’université.

"Paradoxalement, ces mêmes autorités universitaires étaient beaucoup moins exigeantes envers les jeunes femmes issues de l'immigration", écrit la chercheuse. Les diplômes secondaires étrangers étaient souvent acceptés sans examens supplémentaires et sans l’exigence formelle de maîtriser le latin, une condition pourtant imposée aux étudiantes suisses.

Ainsi, l’intégration des femmes dans les universités suisses, bien qu’innovante en apparence, cachait des inégalités marquées entre étudiantes suisses et étrangères.

ATS
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