Les artistes, au service de l'IA malgré eux

Des artistes qui se font voler leur art par l'intelligence artificielle… ça inquiète et ça arrive aussi à Fribourg.

C'est après le buzz de la tendance Gibhli que plusieurs artistes se sont demandés si leurs œuvres étaient reprises par l'IA ou non. © KEYSTONE

Qui contrôle les bases de données des intelligences artificielles? La réponse reste floue. Alors qu'OpenAI sort sa mise à jour le 25 mars, les utilisateurs découvrent qu'ils peuvent maintenant générer des images imitant le style du studio Ghibli, fondé par Hayao Miyazaki. La nouveauté fait fureur: plus d’un million de nouveaux utilisateurs se sont inscrits en une heure. Mais pour arriver à de tels résultats, les IA ont dû être entraînées sur des contenus existants... souvent à l'insu de leurs créateurs.

L’artiste fribourgeoise Déborah Maradan, plus connue sous le pseudo Threeleaves, en a fait les frais. Après le buzz de la tendance Ghibli, elle lance par curiosité une recherche de ses propres illustrations. Malheureusement, bingo: une trentaine d’entre elles semblent avoir été incluses dans des bases de données servant à entraîner les modèles d’intelligence artificielles. Pourtant, comme beaucoup d'artistes, elle n'a jamais donné son accord. "Ce n'est malheureusement pas la première fois qu’on vole mes œuvres", témoigne Déborah Maradan.

Un problème de droit d’auteur

C'est avant tout un problème de droits d’auteurs: les artistes n’ont rien touché en échange de l’utilisation de leurs œuvres. Pour Stéphane Koch, spécialiste des questions numériques, il est normal que les artistes se sentent dépossédés. Il nuance toutefois: "Une IA générative voit ça différemment. Le modèle va être entraîné sur des millions de données. Il ne va pas copier un style en particulier."

Que faire alors quand une IA comme celle d’OpenAI est capable de reproduire le style du studio Ghibli? La frontière est floue. "On ne peut pas protéger un style en termes de propriété intellectuelle, mais on peut l’attribuer à une personne. Donc quand l’IA va permettre de générer un style donné, on est quand même dans quelque chose de l’ordre du plagiat."

Une question de rémunération

C’est le serpent qui se mord la queue: les modèles entraînés par leurs œuvres, sans leur accord, et sans les rémunérer, représentent un manque à gagner: "Forcément, ça va prendre une partie des mandats que pourraient avoir les artistes vivants, humains", explique Stéphane Koch. Une dure réalité imposée par les lois du marché: "L’IA ne va pas fournir un niveau de qualité équivalent à celui d’un artiste. Mais le client n’est pas toujours dans l’attente d’une excellence pour sa communication."

Pour Stéphane Koch, il est nécessaire de trouver un modèle de rémunération pour les artistes dont les œuvres alimentent les bases de données. Un exemple est celui de la Suisa, pour la musique: à chaque fois qu’une œuvre est utilisée, cela génère un revenu et alimente un fond servant à payer les artistes.

Des solutions temporaires

En attendant, les artistes s’organisent comme ils peuvent pour s’opposer à cet usage. Actuellement, Déborah Maradan utilise un filtre appelé Glaze, qui empoisonne les images et les rend illisibles aux yeux des IA génératives – entrendre par là, les IA permettant de créer du texte, des images, de la vidéo. Mais jusqu’à quand? "Peut-être qu’un jour les IA apprendront à contourner le filtre", craint l’artiste.

Pour Stéphane Koch, il s’agit aussi de trouver un équilibre. Pas question de bannir l'IA de l'arsenal des artistes, il faudrait plutôt la dompter: "On verra quand même une différence entre le regard et l’expérience d’un pro, et du contenu créé par un amateur avec ces images."

Certains artistes continuent de s'y opposer fermement. Miyazaki avait déclaré dans une interview que l’IA "est une insulte à la vie elle-même".

RadioFr. - Amélie Gyger
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