Mais pourquoi diable devenir prêtre en 2023?

Jacques Doutaz a quitté son poste d'ingénieur forestier pour reprendre des études. 6 ans plus tard, il est sur le point de devenir prêtre.

Jacques Doutaz vit en communauté au séminaire de Givisiez depuis 6 ans. © RadioFr.

C'est une reconversion totale. Il y a 6 ans, Jacques Doutaz change tout. A 37 ans, il quitte son travail d'ingénieur forestier et se lance dans un nouveau projet: devenir prêtre. Une idée qui peut paraître folle tant l'église n'est plus à la mode. Selon l'Office fédéral de la statistique, plus d'un tiers des Suisses (32% de la population) était sans confession en 2021, alors qu'au début des années 1980, ce taux n'était que de 5%.

Jacques Doutaz nous a ouvert les portes de sa maison, le séminaire de Givisiez, qu'il partage avec plus d'une dizaine d'autres séminaristes. Au menu de cette discussion: vocation, reconversion, famille, études et célibat. 

Un moment fort, un lieu 

"Forcément, ce n'était pas prévu, raconte le Fribourgeois. Cela m'est un peu tombé dessus comme un rhume. C'est une sorte d'appel intérieur que j'ai ressenti à un moment précis. Je comprends qu'on ne comprenne pas, si je ne l'avais pas vécu, je ne comprendrais certainement pas. C'était à l'Abbaye d'Hauterive, un lieu que j'aime beaucoup. J'y étais une fois, pour une messe. Tout d'un coup, il y a une phrase qui résonne et qui vous retourne comme une crêpe. J'ai senti une sorte d'illumination intérieure, un grand sentiment de joie et de paix."

"Je n'ai rien vu, rien n'entendu, il n'y avait pas des petits anges qui flottaient dans les airs, continue-t-il. Je suis un homme rationnel… Je pense que le meilleur moyen de l'expliquer, c'est de le comparer avec une rencontre. Si on demande à un couple âgé, qui a vécu 60 ans heureux ensemble, comment ils ont su que c'était la bonne voie pour eux, je pense qu'ils seraient bien empruntés pour répondre. Ils ont sans doute senti que c'était avec cette personne-là qu'ils voulaient faire leur vie, mais en réalité, ils n'avaient aucune garantie. La conviction intérieure était certainement très forte pour oser faire ce pas."

Un choix réfléchi…

Après cet instant d’intense plénitude, Jacques Doutaz prend conscience du choix qui se dresse devant lui. "On se dit:  mais concrètement qu'est-ce que je fais? On débat avec cette idée de changer de voie. J'étais bien engagé dans ma profession, je venais de changer de poste, j'étais heureux. Et c'est clair que le fait de rentrer au séminaire, cela veut dire revenir aux études, quitter son appartement, perdre un certain confort financier."

"Comme je venais de changer de travail, je me suis dit que les gens allaient se poser des questions, ajoute le Fribourgeois. La décision a quand même été rapide : en avril, j'ai senti cet appel et en septembre, je rentrais au séminaire. L'affaire était donc pliée, du moins aux yeux de mes proches, car quand on rentre au séminaire, le chemin avant de devenir prêtre est encore long." 

Un parcours de 7 ans: une année de discernement, 3 ans pour un Bachelor, 2 ans pour un Master et une année pastorale. Avec le travail de mémoire terminé et déposé, il ne manque à Jacques Doutaz que quelques examens à passer en juin avant l'ordination. 

... qui étonne et questionne

Le choix de vie de Jacques Doutaz étonne ses proches, même si sa famille et ses amis acceptent ce choix avec bienveillance. "Le choc a sûrement été plus grand parce que je ne donnais pas l'impression de chercher autre chose. Le lendemain de mon annonce, certains de mes amis proches m'ont recontacté. Ils ont eu besoin de parler de ce changement. Pour moi, leurs questions étaient légitimes et je crois que d'une certaine manière, verbaliser mon choix m'a aussi aidé à y voir plus clair."  

Mais comment réussir à s'engager en 2023 dans une institution décriée, frappée par les scandales ces dernières années? "Je vois autre chose dans l'Eglise qu'une institution humaine, cela m'aide à relativiser les choses, pas dans la gravité des scandales, mais je n'attends pas que l'institution soit parfaite avant de m'y engager. Bien sûr, je ne suis pas naïf, c'est effectivement être à contretemps de s'engager dans l'Eglise aujourd'hui, alors que le nombre de fidèles diminue et que les scandales éclatent au grand jour. C'est un choix qui parait peu rationnel." 

Forcément le célibat

"Je le dis souvent, mais c'est certainement la chose qui a le moins changé pour moi dans la vie, rie Jacques Doutaz. J'étais célibataire avant d'entrer au séminaire, je suis resté célibataire. Je pense que quasiment tous les autres aspects de ma vie ont changé, à l'exception de celui-là."

Le célibat est une question qui revient presque toujours, il intrigue et questionne. "Pour tenter de comprendre, il faut essayer de ne pas voir uniquement ce qu'on perd, mais de voir ce qu'on cherche. Si on l'imagine comme un renoncement, c'est sûr que cela n'a pas beaucoup de sens. Il faut comprendre le célibat comme un signe. Pour ceux qui y croient, Dieu est une réalité suffisamment concrète pour qu'on puisse y consacrer toute sa vie. En réalité, avec le célibat, on essaie de dire quelque chose en creux. On essaie de démontrer que la prêtrise peut remplir une vie. Ceux qui s'y engagent ne vivent pas le célibat comme un vide, mais comme de la place pour autre chose."

Lorsqu'on demande à Jacques Doutaz comment il vit avec ses envies, ses besoins et pulsions sexuelles d'être humain, il répond par une comparaison avec la vie conjugale. "Je pense que les difficultés que peut avoir un séminariste ou un prêtre sont comparables à ceux vécus par un couple. Ce qui est sans doute difficile, c'est de vivre la fidélité à l’engagement que l'on a pris. Je peux m'imaginer que dans un couple, il y a aussi des occasions de voir ailleurs et là, on doit concrètement décider que non, c'est cette voie que je choisis et je reste fidèle. Je pense que l'analogie est beaucoup plus étroite que ce que l'on imagine, si on pense en termes de fidélité."

"Finalement, c'est une question de choix, conclut le futur prêtre. Je ne suis pas sûr que la vraie liberté, cela soit de ne jamais s'engager dans une certaine voie."

RadioFr. - Vincent Dousse
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