Père Fouettard: "Le maquillage peut être fait différemment"

La Grève féministe Fribourg dénonce le traditionnel maquillage noir du Père Fouettard, y voyant une pratique assimilable à du "blackface". Interview.

Pour la grève féministe, il est possiblde d'utiliser un maquillage qui rappelle plutôt les traces de cendres et de suie. © La Télé

Le visage noir du Père Fouettard remis en question par la Grève féministe Fribourg. Cette dernière juge que le grimage de l'accompagnant de Saint-Nicolas est discriminatoire. Elle appelle à cesser ce "blackface" (voir encadré) lors de la Saint-Nicolas. Interview de l'une de ses membres.

La Télé: Clarisse Nicaise, pour jouer l'avocat du diable, est-ce que cela revient à dire que, selon votre collectif, Fribourg célèbre une fête raciste?

Notre but n'était pas du tout de remettre en question la tradition de la Saint-Nicolas, mais vraiment seulement ce maquillage du visage, qui pourrait être fait d'une manière différente pour représenter les cendres ou la suie. Là, il est fait d'une manière où l'on peint complètement tout le visage, ce qui rappelle effectivement la tradition du blackface. C'est la seule chose que l'on reproche.

Est-ce qu'on peut réellement associer les Pères Fouettards à une blackface? Parce qu'historiquement, ce n'est pas ça.

Ce qui pose problème, c'est que cette manière de peindre les visages, qui date déjà du Moyen Âge, est toujours utilisée pour déshumaniser les personnes noires. Même si l'intention n'est pas de représenter une personne racisée, quand nous, on voit ce visage, on voit quand même une peau qui est peinte en noir. Et le fait de l'associer à une personne qui est venue punir les enfants qui n'ont pas été sages, ça pose problème.

Donc l'argument du Collège Saint-Michel, qui est l'organisateur de la Saint-Nicolas avec la ville de Fribourg, qui dit qu'il ne s'agit pas d'une identité ethnique mais bien d'un personnage fictif, ne vous convainc pas?

Non, absolument pas. En fait, il faut aussi se mettre dans l'idée que, quand le public est face à ce genre d'image, c'est une violence symbolique pour les personnes racisées et noires. Puisqu'en fait, on peint la peau de personnes blanches ; même si ce n'est pas pour représenter une ethnicité, c'est quand même ce que véhicule l'image.

Dans votre communiqué, vous avez notamment évoqué des enfants qui peuvent être impactés par cette "pratique raciste et coloniale". Des familles sont-elles venues vous voir, ont-elles témoigné pour dire qu'elles se sentaient offensées ?

Nous avons un groupe afroféministe au sein de la Grève féministe, et ce sont des personnes concernées qui ont lancé ce sujet.

Justement, ce n'est pas vous, à la base, qui auriez dû venir sur ce plateau pour répondre à notre interview, mais effectivement une collègue racisée, qui a finalement refusé parce que, tout au long de la journée, sur les réseaux sociaux, il y a eu beaucoup de réactions par rapport à ce que vous avez dit. Cela vous a choquée, au sein du collectif de la Grève féministe?

Nous trouvons que les réactions étaient complètement disproportionnées. On demande de réviser un maquillage, et elle a reçu des messages privés, des appels à la haine sur X, beaucoup de commentaires racistes, xénophobes et misogynes qui l'attaquaient personnellement.

On n'est plus en lien avec la Saint-Nicolas, mais avec votre collègue.

Pour nous, c'est ça qui devrait faire polémique: que quelqu'un qui prend la parole aujourd'hui pour demander que cette tradition soit mise à jour reçoive autant de violence.

Qu'est-ce que vous demandez comme modification, sans trahir cette tradition de la Saint-Nicolas?

La solution est très simple: au lieu de peindre le visage en noir, utiliser un maquillage qui rappelle plutôt les traces de cendres et de suie, puisque c'est ça que c'est censé représenter. Il existe plein de maquilleurs et maquilleuses qui font de superbes travaux dont on peut s'inspirer pour avoir plutôt ces traces, et non pas ce visage entièrement peint en noir.

Qu'est-ce que le "blackface" ?

Le blackface est une pratique théâtrale et médiatique née dès le Moyen Âge en Europe où des personnes blanches se grimaçaient avec du maquillage noir et adoptaient des comportements stéréotypés pour caricaturer et ridiculiser les personnes noires.

Ce procédé, qui est devenu très populaire durant les 19 et 20e siècles en Europe et aux États-Unis, a servi à véhiculer et à renforcer des préjugés racistes.

La Télé - Camille Tissot