Abolition de la valeur locative: l'analyse de Pierre Mauron
Dimanche, la population suisse a voté l'abolition de la valeur locative. Pierre Mauron revient sur cette votation et ses impacts dans le Canton.
En approuvant dimanche l'arrêté portant l'impôt immobilier sur les résidences secondaires à 57,7 %, le peuple suisse a choisi de supprimer la valeur locative.
Interview de Pierre Mauron, président de l'ASLOCA, et de Jean-Pierre Siggen, responsable de la Direction des finances cantonales:
La Télé: Tous les cantons alémaniques sauf Bâle-Ville ont dit oui, et tous les cantons romands ont dit non. Comment expliquer ce Röstigraben?
Pierre Mauron: Au-delà d’un Röstigraben, je pense qu’il faut examiner la population de ces cantons. On voit que les cantons à majorité de locataires ont plutôt refusé ce projet. Les cantons à majorité de propriétaires l’ont accepté. Tous les cantons de Suisse centrale sont des cantons clairement à majorité de propriétaires. Les gens pensent souvent qu’il y a beaucoup plus de locataires en Suisse. Dans le nombre absolu, c’est vrai. Mais au niveau des cantons, il y en a six ou sept qui sont majoritairement composés de locataires. Pour tous les autres, ce sont les propriétaires qui dominent, et donc qui dictent les choix.
La Télé : Donc vous avez le sentiment que, finalement, les propriétaires ont voté pour leur propre intérêt. Mais c’est vrai qu’en définitive, il s’agissait d’abolir un impôt fictif qui était injuste?
Pierre Mauron: Il n’était pas injuste. Il a été créé pour combler une différence. Vous avez des locataires qui ne peuvent pas déduire des intérêts passifs, les intérêts d’une dette, tandis que les propriétaires peuvent déduire les intérêts d’une dette hypothécaire. Si on déduit quelque chose et qu’on n’a pas de revenus, on est doublement gagnant, et c’est ça la problématique qu’il fallait résoudre. Soit on avait cette valeur locative et on pouvait la déduire des intérêts, soit, comme maintenant, on abolit la valeur locative et on ne pourra plus déduire les intérêts. Cela signifie que, si vous êtes propriétaire d’une maison neuve sans dette, forcément vous votez oui et vous êtes gagnant. Pour tous les autres qui ont une dette ou qui veulent faire des travaux d’entretien, à mon avis, vous êtes perdants. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils sont déjà à la limite avec des taux à 1 ou 1,5%. Avec des taux hypothécaires à 4%, cette masse-là sera clairement perdante.
La Télé: Parlons maintenant des conséquences pour notre canton, le canton de Fribourg. Vous l’aviez annoncé, Jean-Pierre Siggen, c’est une perte pouvant aller jusqu’à 20 millions de francs par an pour les caisses de l’État. Ce n’est vraiment pas sans conséquence, cette abolition de la valeur locative pour le canton?
Pierre Mauron: C’est extrêmement dramatique. On voit maintenant que, quand on enlève des revenus, on doit couper dans les prestations; c’est ce que le Conseil d’État va déjà faire, notamment en diminuant les salaires de ses propres employés. Comment est-ce qu'on peut compenser ces 20 millions si l’on ne veut pas couper dans les prestations? Vous avez évoqué au début mais le Conseil d'état et le parlement refuse d'augmenter les impôts alors qu'on pourrait le faire. Fribourg a été le champion des baisses fiscales durant ces quize dernières années. Cependant, on ne veut pas de cela au parlement, il reste donc à taxer les résidences secondaires, dans le Canton de Fribourg, il n'y en a pas.
La Télé: C'est d'ailleurs l'objet de la loi. Monsieur Siggen, vous allez devoir préparer un impôt sur les résidences secondaires?
Jean-Pierre Siggen: C’est justement ce qui va être analysé. On a deux ans pour le faire. Ensuite, on sait, car on a déjà plus ou moins étudié la question, qu’il y a peu de résidences secondaires, et qu’on a déjà la contribution immobilière, qui est un impôt foncier du même ordre. Donc cela limite nos capacités de compensation, et on ne pourra pas le faire via cet impôt.
La Télé : Des inquiétudes?
Pierre Mauron: Oui, et vous voyez : quand l’ASLOCA et le canton, respectivement le directeur des finances, partagent le même avis et la même inquiétude, c’est que le problème est vraiment grave. Comment va-t-on faire pour éponger ce trou de 20 millions? Honnêtement, aujourd’hui, je ne sais pas. Il y a deux ou trois ans de mise en application. Vous avez des propriétaires de la classe moyenne qui vont de toute façon repasser à la caisse pour contribuer. Ce trou, il faudra le boucher, ou alors supprimer des prestations. Donc là, on a un dilemme qu’il faudra résoudre.
La Télé: Les rénovations ne pourront plus être déduites par les propriétaires. Craignez-vous pour l’avenir des logements des locataires, en tant que président de l’ASLOCA?
Pierre Mauron: Effectivement. Vous avez vu que la population vote en fonction de son porte-monnaie. Les propriétaires d’immeubles également: s’ils ne peuvent plus déduire les rénovations, certains immeubles seront laissés à l’abandon, ou alors nous aurons la problématique du travail au noir, avec toujours en ligne de mire les locataires qui seront pénalisés. N’oubliez pas que, depuis 20 ans, les taux baissent, mais les loyers augmentent. Les propriétaires ont donc déjà reçu un cadeau assez important, surtout ceux qui ont des dettes hypothécaires, alors que les locataires paient leur loyer quasiment deux fois plus cher. Et là, c’est un deuxième cadeau qui arrive. Ça fait un peu beaucoup, sachant qu’à la fin, ce sont toujours les locataires qui paient.