Comment la pollution lumineuse affecte la pollinisation
Rencontre avec une équipe de biologiste qui étudie l'effet de la lumière artificielle sur la pollinisation diurne, une première mondiale.
Si vous prenez la route quittant Saint-Aubin direction le nord, vous risquez certainement de tomber sur un lampadaire trônant au milieu d'un champ. Une vision un peu étrange, qui cache pourtant une étude unique au monde. Ici, on s'intéresse à la pollution lumineuse, et à son impact sur les pollinisateurs diurnes.
Sur place, Vincent Grognuz, doctorant à l'Agroscope, vérifie que la batterie du lampadaire soit en ordre. Sur le sol autour de lui, quatre zones débordantes de fleurs sont délimitées par des bâtons en bambou plantés dans la terre. "On a semé une communauté de plantes sauvages, montre le biologiste fribourgeois. Là, il y a de la Carotte Sauvage, des Grandes Mauves, ou encore des Silènes de nuit."
Des sites comme celui-ci, il y en a actuellement 16, tous dispersés entre Payerne et Ins. Huit d'entre eux sont éclairés artificiellement tous les soirs.
Trois hypothèses
Tout a commencé en 2021, lorsqu'un biologiste de l'Agroscope réalise que les pollinisateurs diurnes sont moins actifs dans les zones touchées par la pollution lumineuse. Vincent Grognuz décide alors d'essayer de comprendre le pourquoi du comment, et d'en faire son doctorat.
Pour étudier ce phénomène, le chercheur fribourgeois et sa petite équipe testent trois hypothèses. La première est que l'éclairage nocturne a un effet négatif sur l'expression des traits floraux. "Ça veut dire qu'une plante éclairée toute la nuit sera moins attractive pour les pollinisateurs, simplifie Vincent Grognuz. Elle sera plus petite, produira moins de fleurs, qui seront moins colorées et moins odorantes."
La deuxième hypothèse se tourne vers les herbivores, comme les chenilles ou les limaces. L'équipe de biologistes a pu montrer que ces ravageurs sont attirés par la lumière et plus actifs dans ces conditions. Les pollinisateurs de jour, eux, seraient du coup moins attirés par les plantes dévorées.
Les araignées entrent en jeu pour la dernière hypothèse. Les zones illuminées sont pour elles un véritable terrain de chasse, explique Vincent Grognuz. "Si vous regardez sous chaque lampe d'extérieur, vous trouverez une toile. Dès qu'il y a de la lumière, il y a plus d'insectes et en conséquence plus de prédation." Une prédation qui reste évidemment active pendant la journée, et qui touche les pollinisateurs.
Sur le terrain
C'est donc pour tester ces différentes hypothèses que les lampadaires ont été installés. Les biologistes travaillent sur 16 jachères florales mises à disposition par les agriculteurs de la région. Ils font régulièrement des relevés de botanique et d'insectes, avec aussi des parties plus expérimentales.
Si l'étude est encore en cours, les résultats préliminaires montrent effectivement une hausse des dégâts due aux herbivore dans les jachères illuminées. "Désormais, la question que l'on a, c'est de savoir si c'est en raison d'une augmentation de leur nombre, ou bien de leur activité, simplement parce qu'ils dorment moins", souligne Vincent Grognuz.
La hausse de la prédation est, elle aussi, notable. " Par endroit, on a deux fois plus de toiles d'araignées dans les zones éclairées qu'ailleurs." Quant aux effets sur l'expression des traits floraux, les biologistes ont notamment remarqué des décalages dans les périodes de floraison.
La suite des recherches
Quels sont les prochaines étapes pour la petite équipe de biologistes? "Jusqu'à maintenant, nous avons fait beaucoup d'observation, sans manipuler l'habitat, répond Vincent Grognuz. Avec l'été, nous partons sur une partie plus expérimentale, pour tester nos observations."
Les chercheurs ont, par exemple, commencé cette semaine à capter les odeurs des fleurs des différentes jachères, dans le but de mesurer si celles illuminées en émettent moins. Ils ont également installé, dans les zones sombres et illuminées, des cages en tissu dans lesquels ils placeront une plante et une limace, afin de voir si l'activité des gastéropodes augmente sous la lumière artificielle.
Par la suite, ils exposeront des pollinisateurs diurnes à des fleurs ayant subi différents degrés de dégâts. Ils s'attendent là à observer que les insectes préfèrent les végétaux intacts. "Le but de toutes nos expériences est de montrer des mécanismes de base de la nature, de l'écologie, que l'on peut appliquer ensuite à large échelle", conclut Vincent Grognuz.