Quand sport rime avec souffrance

Plusieurs anciennes basketteuses ont brisé le silence et décidé de dénoncer la pression excessive qu'elles ont subies.

Les sacrifices faits par les jeunes sportifs dépassent parfois l'entendement. © KEYSTONE

Ludivine Tissot a été la première à remettre en cause les méthodes de plusieurs de ses entraîneurs. Elle est passée par Elfic Génération, le centre de formation d'Elfic Fribourg, avant d'aller notamment à Pully et à Villars Basket. Celle qui a débuté le basketball à 15 ans seulement avait parfois de la peine à suivre le rythme. Ça lui était égal. Son premier entraîneur est Darko Ristic. Un homme dur mais juste. 

Les choses se compliquent pour Ludivine Tissot quand Romain Gaspoz entre en jeu. « Il choisissait les joueuses qu’il voulait mettre en avant et délaissait les autres. On avait le sentiment d’être des pions ».

Partis du témoignage de Ludivine Tissot, nous avons contacté d’autres anciennes joueuses d’Elfic Fribourg. Le constat est amer: plusieurs d’entre elles ont subi une pression difficilement gérable. « Je suis arrivée au club avec des rêves. J’en suis ressortie brisée, ne sachant plus qui j’étais, si ce n’est une minable », explique Murielle*.

Les joueuses qui ont accepté de se confier pointent du doigt Romain Gaspoz, de retour à la tête des Elfes depuis 2019 après un premier passage entre 2010 et 2017. D’après elles, l’entraîneur est trop exigeant. Elles l’accusent de les avoir rabaissées. « Il n’arrêtait pas de me dire que j’étais paresseuse, que je ne travaillais pas assez dur, que ma défense était mauvaise. J’ai commencé à le croire. J’ai cru pendant longtemps que j’étais quelqu’un qui ne travaillait jamais assez dur pour atteindre ses objectifs », confie Sophie*.

Meril Sabo, qui a quitté Elfic Fribourg en 2013, partage ce sentiment: « Je me sentais fautive, insuffisante. J’avais l’impression de ne pas avoir ma place dans cette équipe. La pire hantise, c’était de se retrouver dans le bureau du coach à devoir se justifier. Parce qu’il était très bon avec les mots, il arrivait toujours à retourner la situation contre toi ».

Marina Lugt a évolué avec le club de la Salle Saint-Léonard pendant six ans. « J’ai de la peine à retenir le positif, les victoires, etc. Lors de ma dernière saison, j’avais le sentiment d’être une moins que rien », se souvient la Vaudoise de 26 ans qui joue aujourd’hui avec Villars Basket en Ligue B. Anna* qui a joué pour plusieurs clubs suisses abonde dans ce sens: « Les coachs ont parfois tendance à oublier que nous sommes des êtres humains et que nous avons des sentiments.»

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"On ne fait pas ce métier pour rendre les gens malheureux"

Romain Gaspoz n’a pas voulu revenir sur ces accusations. Il nie cependant avoir insulté ou dénigré ses anciennes joueuses. Le Valaisan rappelle que d’autres ont mieux vécu leur expérience: « Il faut aussi relativiser. Globalement, ça se passe bien à Elfic Fribourg. Mais c’est possible qu’il y ait eu des situations plus difficiles à vivre pour certaines. Si c’est le cas, ça m’attriste. On ne fait pas ce métier là pour rendre les gens malheureux ».

Pour expliquer le mal-être de celles qui ont mal vécu leur passage à la Salle Saint-Léonard, Romain Gaspoz met en cause le système du sport de compétition: « Il faut tout mettre en œuvre pour qu’il n’y ait pas de casse. Mais en même temps, on nous demande de gagner des titres. C’est délicat. Dans tous les sports, il y a des exclus, des cassés, des blessés et des psychiquement abîmés pour qu’il y ait des médailles.»

L’entraîneur d’Elfic Fribourg n’est pas parfait. Il le dit lui-même: « Si on met la barre trop bas, on empêche la personne de réaliser son potentiel. Si on a la met trop haut, on la casse. Mais c’est toujours involontaire. J’ai toujours essayé d’agir avec bienveillance, mais parfois on peut se tromper ».

Romain Gaspoz n’est pas le premier, ni le dernier entraîneur à être décrié. Mais les conséquences de la pression qu’il a pu mettre sur ses joueuses choquent. « Il m’a fallu être suivie par des professionnels pendant plusieurs années pour regagner ne serait-ce qu’un soupçon de confiance en moi», avoue Murielle*. Marina Lugt ne s’en cache pas. Elle a aussi dû demander de l’aide pour s’en remettre.

Les joueuses qui ont décidé de témoigner de ce qu’elles ont vécu n’ont pas reçu d’aide à l’époque où elles portaient le maillot d’Elfic Fribourg. Aujourd’hui, le club aimerait que les choses changent. « Cela fait 2 ans que nous collaborons avec un psychologue du sport, même si pendant la pandémie, nous avons dû arrêter. C’est quelque chose que l’on veut développer ces prochaines années », explique la présidente Karine Allemann.

Une prise de conscience générale

Soigner sa santé mentale est devenu une priorité pour de nombreux sportifs. L’exemple de la tenniswoman Naomi Osaka qui souffre de problèmes d’anxiété est peut-être le plus parlant.

Swiss Olympic en a pris conscience. Une campagne de prévention prénommée « Are you OK? » a démarré. Le bureau de signalement ouvert aux sportifs et sportives en détresse sera remplacé au mois de janvier 2022 par un service géré par la fondation indépendante Swiss Sport Integrity.

L'accent est mis sur la création d'une base légale pour l'application d’un règlement. De nouveaux statuts en matière d’éthique détailleront quels types de comportement ne seront plus tolérés. Des violations pourraient entraîner des sanctions. Le Parlement du sport votera sur l’adoption de ces statuts le 26 novembre.

Collaborateur de la section Éthique de Swiss Olympic, Andres Trautmann estime que les choses doivent changer: « Nous pensons que le sport de compétition ne doit pas être lié à une souffrance. Il y a des limites qui ne doivent pas être dépassées».

RadioFr. - Marie Ceriani
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