Quand une histoire digne de "Narcos" peine à trouver preneur

Le cinéaste fribourgeois Philippe Woodtli se bat pour porter à l'écran l'histoire du policier Paul Grossrieder et du trafiquant François Scapula, figures de l'affaire des Paccots en 1985.

Le 11 novembre 1985, la police fribourgeoise prenait d'assaut un chalet aux Paccots baptisé "L'Armailli", un laboratoire transformant de la morphine-base libanaise en héroïne destinée au marché américain. © DR
Le 11 novembre 1985, la police fribourgeoise prenait d'assaut un chalet aux Paccots baptisé "L'Armailli", un laboratoire transformant de la morphine-base libanaise en héroïne destinée au marché américain. © DR
Le 11 novembre 1985, la police fribourgeoise prenait d'assaut un chalet aux Paccots baptisé "L'Armailli", un laboratoire transformant de la morphine-base libanaise en héroïne destinée au marché américain. © DR
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Philippe Woodtli pensait tenir le projet de sa vie. Installé à Saint-Ours, ce cinéaste a pour voisin nul autre que l'ancien chef de la brigade fribourgeoise des stupéfiants, Paul Grossrieder, qui avait démantelé en 1985 un trafic international d'héroïne depuis les Paccots. 

En 2021, il touche le "jackpot", comme il le dit. Paul Grossrieder lui confie un manuscrit de François Scapula, le chimiste français au cœur de l'affaire. "Quand j'ai lu ce texte, je me suis dit, c'est incroyable, il faut en faire une série", se souvient-il. "Je lui ai demandé son accord, il a très bien accueilli cette idée." Ce document révèle l'amitié improbable née entre le policier et le bandit condamné en 1987 par la justice suisse à 20 ans de réclusion, avant de se volatiliser 13 ans plus tard. 

Un petit Fribourg au cœur du crime international

Pour comprendre l'ampleur du projet, il faut revenir aux faits. Le 11 novembre 1985, la police fribourgeoise prenait d'assaut un chalet aux Paccots baptisé "L'Armailli". Derrière cette façade paisible se cachait un laboratoire transformant de la morphine-base libanaise en héroïne destinée au marché américain. 10 kilos de drogue pure sont découverts sur place, une prise record en Suisse pour l'époque. 

L'opération, menée avec les polices française et américaine, permet d'interpeller six trafiquants, dont quatre figures du grand banditisme français liées à la French Connection. Parmi eux, François Scapula, le cerveau de l'opération qui allait devenir un informateur très précieux dans des affaires criminelles sensibles, telles que l'assassinat du juge marseillais qui combattait "la French" et le clan mafieux des Benevento.

De l'euphorie à la désillusion

Fort de ce matériau extraordinaire, l'équipe de Philippe Woodtli présente l'an dernier le projet à la RTS. La chaîne publique donne son feu vert au Fribourgeois pour l'écriture du premier épisode. 

L'euphorie est de courte durée. Pour les séries de fiction, la RTS investit dans les projets uniquement si ceux-ci ont des perspectives de financement en dehors des apports que l'entreprise pourrait investir. Contactée, la RTS nous explique: "Le projet avait évidemment d’indéniables qualités. Nous sommes entrés en matière pour revoir notre position, si les recherches pour trouver d’autres partenaires financiers éventuels (autres chaînes ou plateformes coproductrices, préventes, etc.) devaient aboutir. À ce jour, ce n’est pas le cas, le projet est donc abandonné."

Netflix manifeste bien un intérêt, mais décline finalement après quelques semaines. Dans l'impasse, le cinéaste lance un appel sur les réseaux sociaux pour trouver un moyen de raconter l'histoire. 

La série de six épisodes aurait selon son créateur "le potentiel de Narcos", la production à succès de Netflix. L'autoproduction est toutefois illusoire pour son projet de mini-série au grand budget: entre 10 et 16 millions de francs. Le Fribourgeois connaît les rouages de l'industrie audio-visuelle: il a notamment coproduit le court-métrage "The Ugly Chickens", basé sur une histoire de l'auteur de "Game of Thrones" George R. R. Martin. 

Mais pour lui, l'enjeu dépasse le simple divertissement. Pour le cinéaste qui a grandi à Morat, il s'agit de valoriser une histoire helvétique. "On parle toujours des États-Unis, ou de la France. Mais ici, à Fribourg, on a la même chose."

Même Gaumont s'est montré intéressé, mais à condition de faire du Français Scapula le personnage principal. Philippe Woodtli ne veut cependant pas dénaturer son récit à deux héros, aussi romanesques l'un que l'autre. "Paul a été victime d'une injustice", estime le réalisateur, en référence aux scandales dans lesquels l'ex-brigadier a été impliqué à la fin des années 90 lorsqu'il a été accusé d'avoir abusé de sa position en entretenant des relations sexuelles avec des prostituées toxicomanes qui lui servaient d'informatrices. Bien qu'acquitté au pénal en juillet 2000, il a été renvoyé de ses fonctions par le Conseil d'État fribourgeois, pour qui la confiance était rompue.

"Cette histoire, elle est incroyable, parce que ça commence avec un flic qui chasse un gangster, et ça finit avec un flic qui se retrouve en prison." Le cinéaste fan du genre policier continue malgré tout de chercher un producteur qui est prêt à porter ces personnages rocambolesques à l'écran.

Frapp - Alexia Nichele
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