Stephan Eicher: "Antoine de Caunes m'a soutenu très tôt"
L’artiste suisse est de retour avec un 18e album “Poussière d’or”, entre mélancolie lumineuse et une liberté retrouvée. Rencontre.
RadioFr: Antoine de Caunes a écrit une sublime biographie de ce nouvel album “Poussière d’or” dans laquelle on peut, entre autres, lire cette phrase : “Mes rares amis me sont chers; Stephan est mon ami, et un être rare”. Après plus de 40 ans d’amitié, qu’est-ce que vous aimeriez lui répondre?
Stephan Eicher: Est-ce qu’on filme en couleur? Comme ça vous voyez que je rougis un petit peu (sourire). Oui, c’est touchant quand même. Je crois que sans lui je ne serais pas avec vous. C’est vraiment lui qui m’a présenté en France, qui m’a présenté à Philippe Djian, et qui m’a soutenu quand d’autres journalistes disaient : “Oh, celui-là ne comprend pas, il ne regarde pas la caméra, il a un accent bizarre”. Mais Antoine, très tôt, m’a soutenu et ça me touche, parce que c’est vraiment un très bel être humain …
Vous partagez aussi une amitié de près de 40 ans avec le parolier et romancier Philippe Djian. Là aussi, vous dites que sans lui vous ne seriez pas là?
Absolument. J’ai comme deux carrières. Une qui a commencé avec Grauzone, un groupe que j’ai eu avec mon frère. J’avais 19 ans, mon frère 17. Ça nous donnait déjà un revenu parce qu'on a eu un grand succès. Ça m’a donné la liberté d’arrêter mes études et de me concentrer sur la musique. Après, il y a eu beaucoup d’anglais, beaucoup d’allemand dans mes chansons jusqu’au moment où, à 27 ans, — pas encore la rencontre avec Philippe Djian — j’ai rencontré l’actrice Corinne Dacla qui m’a écrit ce très beau texte: “Combien de temps”. Peut-être que vous connaissez le Club des 27? Il y a des musiciens et des musiciennes qui ont brûlé trop vite, trop fort, et qui ont disparu un peu bizarrement à 27 ans: Kurt Cobain, Amy Winehouse, Jim Morrison, Jimi Hendrix … Moi, je suis encore là, mais il y a eu une fissure. Avec “Combien de temps”, tout à coup la France m’a adopté; Philippe Djian est arrivé, puis les disques comme “Engelberg” ou “Carcassonne”, et comme une deuxième vie a commencé.
Ce nouvel album “Poussière d’or” comprend 12 titres inédits. Comme sur votre dernier album “Ode” (2022), on a un titre en suisse allemand au milieu des 11 titres en français. Une envie ou un besoin de garder vos origines bernoises?
J’ai un scoop. Martin Suter, le zurichois… Il n’est pas du tout zurichois, il est fribourgeois! J’ai tourné dans un film avec lui, à Fribourg, où le régisseur voulait la rencontre de Stephan Eicher et Martin Suter. On est allés dans la Basse-Ville, il y a ce pont, on dit que c’est le Röstigraben. J’ai trouvé amusant de parler avec lui en suisse allemand, puis tout à coup en français, puis de reculer, et à nouveau en suisse allemand. Il parle zurichois, mais pour mes chansons on parle bernois, et il a un gros dictionnaire bernois pour adapter. Depuis “Hemmige”, sur l’album “Engelberg”, j’adore ça. Petite anecdote: En 1991, je chante à l’Olympia, tournée “Engelberg”, on arrive à “Hemmige”, le public chante avec moi — je suis bernois — j’arrête le groupe: “Mais qu’est-ce que vous chantez?” - “Continue, continue!” (rire). Je ne crois pas qu’à l’Olympia on ait déjà chanté bernois. J’aime bien montrer au public francophone d’où je viens même si j’ai quitté Berne à 16 ans, ce sont mes racines.
On a beaucoup de balades poétiques et de tendresse dans cet album, aux niveaux des textes comme des musiques. Je retrouve cette douceur qu’on avait sur “Homeless Songs” en 2019 et ce n’est pas un hasard, il y a à nouveau le producteur Martin Gallop derrière ce nouvel album “Poussière d’or”. Martin Gallop qui a fait 1’000 kilomètres à vélo pour vous retrouver, l’histoire est géniale!
Oui! Des amis m’ont prêté une maison dans le Lavaux avec une vue sublime, qui a influencé l’idée d’humanité et d’horizons dans le disque. Eté 2024, Martin m’envoie un petit film: casque de vélo, vélo électrique surchargé, guitare, sous la Porte de Brandebourg: “Stephan, j’arrive!” Quelques jours après, il est au Walensee — entre Sargans, Coire, Zurich — “J’arrive!”. Je me dis: "merde, il le fait vraiment! 1 000 kilomètres!" (rires). La veille de son arrivée, il est à Bulle: “Stephan, j’arrive!”. Il arrive: “Montre moi les nouvelles chansons, je veux produire ce disque. Laisse moi trouver les musiciens, le studio, la façon d’enregistrer. Toi, écris, joue un peu de guitare, chante!”. Il a bossé comme un âne et m’a amené un disque très équilibré. Moi, j’aime heurter; lui aime l’harmonie. Il a très bien réalisé ça. Merci, Martin Gallop. (sourire)
“Poussière d’or”, c’est aussi le premier single qui a annoncé ce 18ème album. Ce titre, vous aimez l’écouter les mains en l’air. Pourquoi?
Vous savez, c’est compliqué, presque douloureux de parler de mon travail; je ne comprends pas tout moi-même, et c’est joli. Je remarque que ce disque se passe dehors: on l’écoute dedans mais les images sont toujours un horizon. Je marche tout le temps, je me balade avec un chien que je n’ai pas. “Poussière d’or”, on a envie de jeter des confettis, de souffler dans les arbres d’automne, des feuilles prêtes à partir.
On retrouve aussi le titre “Cheveux blancs” sur ce nouvel album. Stephan Eicher, vous avez aujourd’hui 65 ans, 45 ans de carrière, quel regard portez-vous sur le temps qui passe?
Moi? Je suis un menteur, j’ai 83 ans! (rires). Ce n’est pas la chirurgie, c’est le plaisir de parler avec vous ici. La vieillesse, soyons honnêtes, est inévitable. Si vous voulez vivre longtemps, la vieillesse est au menu. J’aime vivre longtemps, j’ai des enfants, petits-enfants, des amis, mes chansons. J’adore le présent, c’est là que je passe le plus de temps. Le passé, on le manipule; le futur, je ne suis pas sûr que ça existe, sauf dans les journaux. Woody Allen a dit : “La réalité, le présent, c’est le seul endroit où je peux commander une entrecôte”. Dans le passé, vous ne commandez pas de verre, dans le futur, pas d’entrecôte. C’est aussi le seul endroit où, quand votre enfant dort enfin, vous allez éteindre la lumière. Le seul endroit où je monte sur scène et où un fou furieux arrive de Berlin à vélo pour me dire: “Montre moi tes nouvelles chansons!”. Et ce n’est même pas philosophique. Je ne l’ai pas toujours eue; c’est venu avec l’âge, quelques blessures, la perte des parents. Le présent, c’est là où je peux commander une entrecôte. (sourire)
Depuis l’âge de 12 ans, vous avez une guitare entre les mains. Qu’est-ce qu’elles diraient, toutes vos guitares, après toutes ces années?
C’est un peu trop sexy, ce que j’ai à dire! Touche-moi! (rires) Elles diraient: “Viens, prends-moi dans tes bras”. J’essaie de les jouer. Ça me rend triste quand je retrouve une guitare et que je remarque qu’elle n’a plus de vie. J’en ai une très belle, la plus chère, peut-être, mais elle n’a plus de vie. C’est triste. Oui. Bref… “Touche-moi … Avant que je parte.” (sourire)
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