"Je veux créer une justice plus démocratique"

Après avoir effectué son stage d'avocat à Fribourg, le Genevois Engin Kahraman a créé l'application eJustice. Interview.

L'application est présente sur Tiktok, où vous serez conseillé par une IA, en français, anglais ou même en serbo-croate. © Frapp

L'application eJustice est un service juridique qui propose aux particuliers d'accéder aux formulaires judiciaires normalement difficiles d'accès. Ces formulaires permettent d'envoyer une requête qui sera directement redirigée vers le Tribunal compétent par l'application.

Pourquoi avoir créé eJustice?

Engin Kahraman: Je me suis rendu compte que, en matière de justice, non seulement beaucoup de gens ignoraient qu'ils pouvaient agir seuls, mais aussi que ceux qui en étaient conscients ne savaient pas comment procéder. J'avais envie, avec mon équipe, de rendre les procédures plus accessibles. Les formulaires utilisés sur l'application existent déjà, je n'ai rien inventé. Cependant, en facilitant le lien entre les autorités compétentes et le particulier, on contribue à une justice plus démocratique.

En ouvrant l'application, on tombe sur trois onglets: Demande au Tribunal, Infraction routière et Conseil juridique, ce dernier service étant payant. Pourquoi avoir résumé le contenu sous ces trois aspects uniquement?

L'un des obstacles à la compréhension de la justice, ce sont souvent les termes utilisés. Pour des personnes qui ne maitrisent pas la langue française, c'est d'autant plus une difficulté. Cela constaté, il m'a semblé important de présenter les choses avec un vocabulaire simple et inclusif, sans surcharger l'interface d'informations. En ce qui concerne les thèmes, l'application est destinée à évoluer et d'autres sujets importants, comme le divorce, devraient être intégrés. 

Durant votre parcours, avez-vous été témoin du besoin de la population de comprendre davantage le domaine juridique?

Tout à fait. À vrai dire, moi-même, à la fin de mes études de droit, je ne savais toujours pas comment m'adresser au Tribunal. Ce n'est que lors de mon stage d'avocat, à Fribourg, que j'ai appris les démarches. J'ai pris conscience que, en tant que citoyen, nous n'étions pas assez informés, et qu'il fallait faire quelque chose. 

La relation entre le client et son avocat rime souvent avec confiance. N'avez-vous pas peur que le fait de régler des affaires juridiques sur son téléphone empêche le particulier de se sentir entre de bonnes mains?

À l'heure actuelle, la plupart des gens n'ont plus le temps de se rendre physiquement dans un cabinet d'avocat pour enclencher des procédures. Leur permettre de régler des contentieux juridiques depuis chez eux est, selon moi, une bonne chose. De plus, notre équipe se tient toujours à disposition par téléphone. Mais surtout, si le client ressent le besoin de se rencontrer, c'est tout à fait possible. L'application est une porte d'entrée vers le monde de la justice et non pas une fin en soi.

Votre intérêt pour le domaine est-il né il y a longtemps?

Plutôt oui, bien qu'il ait mué au fil du temps. Dans mon parcours de vie, j'ai vécu de l'injustice, et quand est venu le moment de choisir ma voie, j'ai décidé d'étudier le droit pour pouvoir défendre moi-même mes intérêts, ainsi que ceux des autres. Avec les années, j'ai compris que je voulais vraiment aider les gens, mais en dehors des murs du Tribunal. Je n'ai donc pas passé l'examen du barreau. Mon stage d'avocat m'a permis de voir qu'il s'agissait d'un métier extraordinaire, mais qui n'était pas exactement fait pour moi.

Quelque part, vous souhaitez contribuer à améliorer le système judiciaire suisse. Quel regard portez-vous sur la situation?

Je me souviens d'un procès, où mon client avait obtenu gain de cause sur tous les points. Cependant, il n'était pas satisfait, car il voulait que la partie adverse s'excuse. En d'autres termes, la victoire n'était, au final, qu'administrative. Cette histoire m'a fait prendre conscience que pour subvenir totalement aux besoins, il faudrait pouvoir travailler plus en profondeur sur les cas. Plus il y aurait de client satisfait, plus la justice paraîtrait juste auprès des gens. Malheureusement, le personnel effectue, à l'heure actuelle, déjà un travail incommensurable, et la frustration continue d'habiter certains plaignants.

ATS / RadioFr. - Théo Charrière
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