Les femmes SDF se font discrètes
Karima * a tout perdu suite à une rupture difficile. Elle a retrouvé un toit grâce à la Tuile. Comme beaucoup, elle a caché sa situation.

Le monde de la rue est dur et parfois dangereux. Encore plus quand on est une femme. Karima*a vécu cette expérience traumatisante pendant 3 ans, après une rupture qu'elle a très mal vécue. "J'avais tout ! Une famille, un toit, un travail et j'ai tout perdu" regrette-t-elle. "Je ne savais pas où aller, où trouver à manger. Beaucoup de choses peuvent arriver dans la rue quand on est une femme, la maladie, un viol. Le pire, c'est le froid ! "
Frédérique Leresche, Giada de Coulon et Anna Colombo, collaboratrices scientifiques de la HES, HES-SO Haute école de travail social Fribourg, ont mené une étude sur les femmes qui n'ont pas de logement ou sont en situation de précarité résidentielle dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Celles qu'elles ont rencontrées sont venues volontairement pour parler de leur expérience.
Un choix courageux
De cette enquête qu'elles souhaitent poursuivre, elles ont tiré déjà quelques enseignements. Se retrouver à la rue, pour une partie des femmes questionnées, est la conséquence d'un choix courageux. Celui de quitter leur domicile devenu aussi dangereux que la rue voire davantage, en raison des violences exercées par leur compagnon. "Au départ, souligne Giada de Coulon, "il y a donc une véritable volonté de s'en sortir". Mais retrouver à se loger ensuite, avec peu voire pas de revenu et avec parfois des enfants à charge, est un véritable défi.
Autre constat: les femmes en situation en précarité résidentielle tentent aussi souvent de sauvegarder les apparences. Hésitent à demander de l'aide. Elles craignent notamment de passer pour de mauvaises mères aux yeux des autorités, avec le risque, de perdre leur progéniture. "Or la présence de leurs enfants, soulignent les collaboratrices scientifiques, c'est ce qui les fait tenir !"
Ici, on accueille toutes les personnes de même façon, sans poser de question
Quant aux réponses des pouvoirs publics à ces situations, elles varient d'un canton à l'autre. Certains ont des structures spécifiquement dédiés aux femmes, d'autres pas. "Des collectivités prennent en compte le critère de vulnérabilité, comme l'âge ou l'état de santé, pas celui du genre relève Frédérique Leresche. Dans ces cas, les femmes sont considérées comme une catégorie vulnérable. Elles ont ainsi accès en priorité aux structures d'hébergement d'urgence".
A la Tuile, "on accueille toute personne de la même façon, sans poser de questions sur les raisons de sa situation !" Sylvie Goumaz est responsable socio-éducative dans cette association fribourgeoise depuis près de 20 ans. L'an dernier, la Tuile a accueilli 92 femmes sans logement, un peu plus de 10% de ces bénéficiaires. Une solution sur le court terme mais qui peut ensuite donner accès à d'autres dispositifs d'aide.
Une 2ème famille
La Tuile pour Karima, c'est "sa 2ème famille". L'association lui a permis de retrouver un toit et de remonter la pente. Elle affiche un grand sourire, mais les larmes ne sont pas loin quand elle se remémore ses années de galère . "J'ai beaucoup souffert, reconnaît-elle.
Si la situation de Karima s'est grandement améliorée, d'autres peinent, selon Frédérique Leresche, à retrouver une situation stable, une fois qu'elles ont connu la précarité résidentielle. Difficile en effet, sur le long terme, de garder le cap et trouver un emploi suffisamment rémunérateur "pour se défaire de l'aide de l'Etat, mais aussi de son contrôle ! "
*prénom fictif