Action débarque à Matran: "C'est le Temu stationnaire"

Le géant hollandais du discount non-alimentaire s'implante vendredi sur Fribourg. Décryptage avec un expert en commerce de détail.

Comme Otto's, Action pourrait compter plus de 100 succursales en Suisse d'ici des années, selon Dirk Morschett. © KEYSTONE

Avril 2025, Bachenbülach (ZH): Action ouvre sa première filiale suisse, avant Martigny et Monthey (VS). Dans la foulée, une succursale de 1032 m2 accueillera ce vendredi ses premiers clients à Matran Centre, tandis qu'un second magasin dans le canton est prévu à Granges-Paccot.  

Derrière cette inauguration se cache l'une des stratégies d'expansion les plus impressionnante du commerce de détail européen. En quinze ans seulement, cette enseigne hollandaise est passée de petit détaillant local à géant continental avec 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 3000 magasins dans 13 pays.

"Cela fait longtemps que l'on n'a pas vu une croissance aussi agressive de la part d'un détaillant", observe Prof. Dr Dirk Morschett, expert en commerce de détail à l'Université de Fribourg. Cette progression fulgurante repose sur ce concept: proposer 6000 articles à des prix défiant toute concurrence, dont beaucoup à moins de 2 francs, assure l'enseigne.

"En raison des prix extrêmement avantageux, on dit souvent qu'Action est le Temu stationnaire", résume l'expert. Cette comparaison avec la plateforme chinoise n'est pas anodine: elle révèle une nouvelle façon de consommer, où le prix prime sur tout le reste.

Machine à surprises

L'enseigne mise sur un renouvellement constant de son assortiment avec environ 150 nouveaux articles par semaine dans les catégories maison, hygiène, beauté, bricolage. Cette stratégie du facteur surprise crée une forme d'addiction chez les consommateurs, toujours en quête de la prochaine bonne affaire.

Mais cette méthode a son revers: "La plupart du temps, on ne peut pas racheter un article donné parce qu'il n'est plus disponible." Un paradoxe assumé qui transforme chaque visite en chasse au trésor.

Derrière les prix cassés d'Action se cache une logistique implacable. "Il faut une grande taille et un volume d'achat élevé pour pouvoir proposer des prix aussi avantageux", analyse l'expert. Cette économie d'échelle permet à l'enseigne d'organiser des transports par conteneurs à bas prix depuis la Chine et d'optimiser chaque maillon de sa chaîne d'approvisionnement.

Avec deux enseignes dans le canton de Fribourg, Action cible-t-il particulièrement la région? Ça s'apparente à une coïncidence, malgré des avantages évidents:  "Action essaiera d'avoir partout un réseau avec plusieurs filiales dans une même région. C'est utile pour des raisons d'efficacité logistique."

La recherche de bonnes affaires

Qui sont ces consommateurs qui se ruent dans les magasins Action? "Action s'adresse avant tout à des consommateurs très attentifs aux prix, notamment aux familles", explique l'expert. Mais attention aux idées reçues. "Il ne s'agit pas uniquement de personnes qui doivent absolument économiser parce qu'elles ont de faibles revenus."

Le phénomène touche en réalité des couches plus larges de la population qui aiment faire de bonnes affaires et se réjouissent de pouvoir acheter des choses à des prix très bas. En France, cette stratégie a payé: Action a été désigné à plusieurs reprises comme le détaillant le plus populaire.

En Suisse, l'orientation sur les prix est certes moins marquée que dans de nombreux autres pays européens, mais chez nous aussi, elle ne cesse d'augmenter.

L'explosion d'Action en Europe révèle une tendance de fond. "L'orientation prix des consommateurs est élevée, nous l'observons dans tous les pays", constate Dirk Morschett. Cette sensibilité au prix s'intensifie "par vagues: chaque fois qu'il y a une récession ou une incertitude économique, l'orientation prix des clients augmente."

Mais le phénomène va au-delà du simple calcul économique. Il s'agit aussi de la chasse aux bonnes affaires. "Il ne s'agit pas vraiment d'avoir absolument besoin d'un produit, mais d'avoir simplement le sentiment formidable de faire une super bonne affaire en voyant les prix extrêmement bas."

Otto's: le concurrent dans le viseur

En Suisse, Action ne débarque pas en terrain vierge. Otto's, avec sa centaine de magasins et son chiffre d'affaires d'un milliard de francs, règne déjà sur le segment du discount non-alimentaire. "Otto's - avec un modèle similaire - ne cesse de croître. Cela montre que ce modèle fonctionne aussi en Suisse."

Mais l'arrivée d'Action va redistribuer les cartes. À long terme, l'Européen pourrait devenir un concurrent très sérieux. L'impact sera immédiat sur le terrain. "Pour chaque magasin Otto's où une Action est ouverte à proximité, cela se ressentira certainement immédiatement sur le chiffre d'affaires."

Le défi suisse

Comment Action peut-il maintenir ses prix cassés dans un pays aux coûts élevés? "Le plus gros poste de dépenses d'un détaillant, environ 70 à 80%, est le coût des marchandises", rappelle Dirk Morschett. Et c'est là qu'Action joue gagnant. "Les produits ne viennent pas de Suisse, mais sont achetés en commun pour les 3000 magasins d'Europe, en grande partie en Asie."

Cependant, certains coûts restent incompressibles. "Ce sont surtout les frais de personnel et de location en Suisse, où les coûts d'Action sont nettement plus élevés." Résultat: il est certain que les prix que le client pourra trouver dans les succursales seront plus élevés en Suisse qu'en Allemagne ou en France. Action se targue de proposer en permanence 1500 articles à moins de 1 euro, tandis qu'en Suisse, cette formule se traduit sous les 2 francs.

Questions sur la durabilité

Derrière les prix attractifs se cachent des interrogations légitimes. "Pour des produits vendus à moins de 2 francs, tous les clients savent que ce ne sont pas des matériaux de haute qualité et que les conditions de travail ne sont pas extraordinaires."

Malgré tout, la logique d'Action devrait séduire en Suisse, prédit Dirk Morschett, qui estime que le pays pourrait compter 10 filiales d'ici fin 2025. L'objectif à long terme? "Action pourrait avoir jusqu'à 100 succursales en Suisse, même si cela prendra de nombreuses années."

Frapp - Alexia Nichele
...