"Anatomie d'une chute", que vaut la Palme d'or 2023?

Après avoir remporté le célèbre prix du Festival de Cannes en mai dernier, le film de la cinéaste Justine Triet vient de sortir en salles.

Le corps du père est retrouvé sans vie dans la neige, devant la maison. Que s'est-il passé? © LesFilmsPelleas

Sandra, écrivaine à succès, vit avec son mari, Samuel, et Daniel, son petit garçon dans une maison au-dessus de Grenoble. Alors qu'il revient d'une balade avec son chien, Daniel découvre devant la porte le corps sans vie de son père, le crâne perforé. Alertée par ses cris, sa mère se précipite à l'extérieur et appelle immédiatement une ambulance. Tout semble indiqué que l'homme a chuté depuis la fenêtre de son grenier. Plus tard, l'autopsie est formelle: l'entaille qui marque sa tête est antérieure à la chute.

Tout l'enjeu du long-métrage de Justine Triet qui, disons-le tout de suite, est un très grand film, consiste à savoir ce qu'il s'est passé durant l'absence du petit garçon. S'agit-il d'un meurtre ou d'un suicide? Tout en retenue, la cinéaste décide de placer sa caméra du côté de son spectateur. Arrivé sur les lieux du crime au moment des faits, ce dernier n'a rien pu voir, ou presque, du quotidien de cette famille, le découvrant seulement au fur à et mesure du film. Mais aucun indice, aucun effet de mise en scène ne vient véritablement influencer son instinct.

La violence de notre curiosité

En 2h30, le film nous laisse le temps d'hésiter, de nous poser toutes les questions, d'essayer de percer la vérité sur le visage des protagonistes. "L'a-t-elle vraiment tuée?". Un jeu auquel on accepte de jouer volontiers. Et d'autres y jouent également. Gens de loi et journalistes veulent savoir ce qui s'est passé et dans leur quête, peu de respect pour la mort ou le deuil du fils et de l'épouse. Tous les moyens sont bons à prendre et l'on se demande jusqu'où ces chercheurs de vérité seront prêts à aller pour la faire ressurgir.

Pour comprendre s'il s'agit d'un assassinat ou d'un suicide, la vie du couple est analysée, décortiquée, disséquée par les questions parfois brutales des avocats et les enregistrements sonores que le défunt réalisait à l'insu de son épouse. Un procès au cours duquel la vie intime, sexuelle même de l'accusée se retrouve au cœur des interrogations, comme pour nous rappeler que nous n'en avons pas fini avec ces préjugés qui empoisonnent la vie des femmes, surtout si elles connaissent le succès.

Des comédiens qui brouillent nos repères

Mais ce qui frappe véritablement dans le film, c'est le jeu des acteurs, animés par une direction si juste que l'on oublie parfois que nous sommes face à une œuvre de fiction, et non à une véritable enquête criminelle. Si la prestation de Sandra Hüller, qui incarne ici l'écrivaine accusée, nous tient en haleine jusqu'au dénouement final, une autre performance est à saluer: celle du petit garçon, interprété par le jeune Milo Machado Graner. Seul témoin potentiel dont la parole semble décisive dans l'affaire, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de sa mère. Une position des plus ingrates et dont le jeune acteur arrive à nous faire ressentir toute l'âpreté.

En se réappropriant les codes du film de procès, en respectant sa réalité, son cynisme et son suspens, Justine Triet nous offre un spectacle où le fil de la tension reste tendu des premières aux dernières secondes du film, sans oublier nous faire se poser de sérieuses questions sur notre rapport à la curiosité, aux rouages du couple et à la justice. Une Palme d'or entièrement méritée à découvrir dans les salles Cinemotion de Bulle, Payerne et Fribourg.

Frapp - Dimitri Faravel
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