Rencontre avec le maestro fribourgeois
De Villars-sur-Glâne à Prague en passant par Paris et Londres, Jérôme Kuhn s'est imposé comme un chef d'orchestre à la renommée internationale. Interview.

La Télé: Vous êtes passé de Prague à Londres en passant par Paris. Vous avez dirigé des ensembles de renommée internationale tout en étant actif aussi par ici. Vous étiez à la tête du nouvel opéra de Fribourg. Vous dirigez l'ensemble vocal de Villars-sur-Glane. D'où vous vient cette passion de la musique?
Jérôme Kuhn: Je crois que la passion pour la musique, elle vient depuis tout petit. J'en ai toujours fait, dans la famille aussi. Mon grand-père dirigeait des fanfares et donc j'ai été baigné dans la musique. Un jour, je suis rentré à la maison et il y avait un piano. Mon grand-père avait apporté un piano. Il l'avait fait monter trois étages par plein de gens. C'est comme ça que j'ai commencé.
La Télé: Vous êtes chef d'orchestre, chef de chœur, pianiste. Vous êtes un peu hyperactif tout ça à la fois. Vous avez toujours su que vous vouliez faire ça?
Jérôme Kuhn: J'ai toujours su que je voulais faire de la musique et que la musique avait une part très importante dans ma vie. J'ai commencé avec le piano. J'ai fait mes cours au conservatoire ici, puis à Lausanne. La direction est venue un tout petit peu plus tard, quand j'avais 18-19 ans. Ça ne m'a plus lâché.
La Télé: En ce moment, vous dirigez l'ensemble vocal de Villars-sur-Glâne pour les concerts de l'Avent. Ça se passe bien?
Jérôme Kuhn: Oui, le premier concert a eu lieu il y a deux semaines. Ça s'est très bien passé. On a pu interpréter le Stabat Mater de Dvořák, une grande pièce, accompagné du Prague Symphonique Ensemble, que je dirige également. C'était un grand moment de pouvoir partager cette musique tchèque avec l'orchestre tchèque que je dirige depuis de nombreuses années et de faire cette collaboration avec l'ensemble vocal de Villars-sur-Glâne.
La Télé: Vous travaillez aussi à Prague. Racontez-nous un peu votre expérience internationale. Quelles sont les différences de diriger un orchestre à l'étranger?
Jérôme Kuhn: Il y a toujours la langue d'abord. C'est la première différence. De nos jours, tout le monde parle un peu anglais. On essaie de communiquer comme ça. J'ai dû apprendre aussi une base de tchèque à force en 15 ans, même si je pensais que j'aurais pu faire plus. Dans le fond, la mentalité ne change pas beaucoup en termes de musique. Les musiciens sont les mêmes, le travail est le même. Je crois que le rôle du chef, peu importe devant quel public il se trouve et quel musicien il se trouve, il a cette tâche de pouvoir et de devoir inspirer les musiciens. Pour ça, il n'y a pas de langue.
La Télé: Votre nouveau défi en janvier 2026, ce sera du côté de Londres. Vous allez être chef associé à la BBC Concert Orchestra. Ce sera quoi votre rôle?
Jérôme Kuhn: Je suis chef d'orchestre, un des trois chefs principaux de l'ensemble, avec aussi cette tâche de développer les projets, de développer les programmes, de développer l'orchestre aussi. C'est un défi extrêmement intéressant pour moi. J'aime beaucoup pouvoir imaginer les concepts de concerts ou de spectacles. C'est d'autant plus intéressant, alors déjà de pouvoir diriger un orchestre à la BBC, c'est quand même quelque chose d'extraordinaire. Mais en plus, de pouvoir décider ce qu'on va faire en concert ou en enregistrement, c'est encore mieux.
La Télé: Parce qu'il y a des concerts live à la radio encore là-bas, au Royaume-Uni?
Jérôme Kuhn: Oui, c'est quelque chose qu'on a perdu en Suisse malheureusement. La BBC, naturellement une grande chaîne, possède plusieurs orchestres. Il y a des émissions de radio et il y a effectivement des moments live. La plus vieille émission de radio de la BBC, « Friday Night is Music Night », est encore active. Le BBC Concert Orchestra, que je dirige, en produit une vingtaine par année. Je commencerai avec le premier, pour moi, le baptême du feu au mois de janvier, avec mon premier « Friday Night is Music Night ».
La Télé: Vous allez partager votre vie entre Londres et Villars-sur-Glane. Vous êtes quand même très attaché ici. Vous tenez à votre rôle dans l'ensemble vocal de Villars-sur-Glane?
Jérôme Kuhn: Oui, je suis naturellement très attaché à Villars-sur-Glane, au canton de Fribourg aussi. C'est là où j'ai tout appris. C'est mon refuge aussi. C'est là que j'ai été formé par mes professeurs, que je salue, et envers qui je suis naturellement très reconnaissant d'avoir pu acquérir tout ce bagage musical, qui maintenant me sert aussi pour aller à l'étranger et essayer d'aller encore plus loin.
La Télé: Vous avez aussi une longue expérience en studio d'enregistrement. Ça fait 15 ans que vous faites ça. Vous avez travaillé pour Netflix, HBO, des grandes séries. Comment ça se passe?
Jérôme Kuhn: Ça se passe bien. C'est un travail fantastique. Le travail en studio est un travail tellement particulier qui n'a rien de comparable avec ce qu'on fait en concert. Par contre, il y a le résultat après. Le résultat est naturellement différent. On entend notre musique qui passe à la télévision, qui passe au cinéma. Il y a naturellement aussi un grand stress dans le studio parce que time is money. Il faut pouvoir travailler vite, dans des conditions qui sont parfois relativement stressantes. Mais il y a toujours un défi fantastique. On a pu enregistrer toute la saison passée pour Netflix. On avait travaillé deux ans plus tôt pour HBO. Là, on commence pour Disney. C'est vraiment des moments fantastiques.
La Télé: Comment ça se passe? Les gens qui viennent vous chercher disent qu'ils veulent travailler avec vous?
Jérôme Kuhn: Oui, on a naturellement des contacts avec les compositeurs. Les compositeurs choisissent en général avec quel orchestre ils aimeraient collaborer. Pour ma part, j'ai encore une société de production en France avec deux de mes amis, Samuel et Nathan, avec qui on collabore pour créer de la musique. Que ce soit des agences de publicité ou des compositeurs, ils viennent chez nous. On leur fabrique la musique, on l'édite, on l'enregistre et on fournit le produit final. On peut nous entendre dans différentes publicités, dans différentes séries, dans différents films. Il y a parfois des moments où je découvre moi-même la musique qu'on a enregistrée dans des séries télévisées que je ne connaissais pas.
La Télé: Quels sont vos prochains grands projets à l'avenir?
Jérôme Kuhn: La BBC, c'est mon gros projet. On va commencer au mois de janvier avec des séances d'enregistrement et puis les premiers concerts en février et avril, jusqu'au mois de juin. La saison prochaine n'est pas encore tout à fait définie. Normalement, si tout va bien, l'orchestre viendra en Suisse aussi pour un ou deux concerts. Beaucoup de choses à développer en termes d'enregistrement avec notre société en France, Jamais 203, avec laquelle nous enregistrons beaucoup. Nous créons du contenu musical aussi. Nous venons de terminer, nous étions le week-end passé en France, près de Nantes, près du départ du Vendée Globe, pour notre premier ciné-concert, Le Petit Prince, en live, que l'on avait interprété d'ailleurs en partie en 2018 pour l'anniversaire de la radio. Donc voilà, la boucle est bouclée. On a fait ce premier concert. On espère pouvoir le développer aussi pour la suite.
La Télé: Plein de belles choses à venir pour vous, Jérôme Kuhn. Merci beaucoup d'être venu ce soir nous parler de votre parcours, de votre carrière. On vous souhaite bon vent pour la suite.


