L'homme derrière le musée du Tibet

Un ouvrage revient sur l'ouverture de l'institution à Gruyères, en 2009. Portrait de son fondateur passionné, Alain Bordier.

Alain Bordier qui pose chez lui, au-dessus du Tibet Museum. © RadioFr.

C'est un musée encore largement méconnu dans le canton de Fribourg, le musée du Tibet. Il se trouve pourtant en plein cœur de la touristique cité médiévale de Gruyères. Pour faire connaître ses collections, l'ouvrage "Trésors du Tibet - Sur les traces de Milarépa" vient de paraître. Ce livre revient sur l'établissement du lieu culturel en terres fribourgeoises. Une histoire que l'on doit à un passionné fortuné et généreux: Alain Bordier.

Le Genevois, 78 ans aujourd'hui, a baigné depuis l'enfance dans le milieu de la collection, "dans le monde des objets, entre un père et un grand-père collectionneur". Mais tandis que sa famille amasse tableaux, tapisseries, ou meubles européens, lui est fasciné par un autre type d'objet: l'art bouddhique himalayen et tibétain.

Une passion plutôt tardive, d'ailleurs: elle naît au milieu de la trentaine. Alain Bordier découvre alors l'Asie par hasard. "Le premier pays asiatique que j'ai visité, c'est le Sri-Lanka, parce que je faisais de la plongée sous-marine", se remémore-t-il, voix rocailleuse, cheveux gris clair ondulés, et sourire accueillant.

Emu par le temple d'Alchi

Puis le hasard encore, "ou plutôt, la destinée", corrige le Genevois, il découvre, grâce à un ami importateur de textiles, l'Inde. Le voyage qui sera déterminant, il le fait à la fin des années 70 au Ladakh région du nord-ouest de l'Inde connue comme le "Petit Tibet". Il se souvient: "Il y a des montagnes vertes, rouges, le cadre est exceptionnel. C'est la vallée de l'Indus. Une partie du fleuve quitte la route principale. Au bord de l'Indus, il y a le temple d'Alchi, resté quasi intact depuis le XIIe siècle."

Ce qu'il découvre dans ce temple le saisit au plus profond de lui. "Le temple est décoré de bas en haut, il y a des grandes statues, des fresques, des peintures sur les murs et les plafonds. ça m'a influencé pour la suite des évènements." Ce qui le transporte et l'émeut: la beauté des objets tibétains, la spiritualité qui s'en dégage, "une sensation d'étincelle, de lumière qui s'allume".

Une passion dévorante

Tout en continuant à travailler dans sa régie immobilière à Genève, Alain Bordier se plonge alors dans cette culture, lit, se met au bouddhisme, consacre une bonne partie de sa fortune à acheter des statuettes et d'autres pièces, "mais uniquement celles qui se trouvent déjà en Europe". Il y tient. Des objets notamment vendus par les moines pour reconstruire les temples détruits par les Chinois.

Dans un Tibet qui s'ouvre à peine aux touristes, Alain Bordier y réalise sept voyages entre 1993 et 2000. En parallèle, il se rend à Genève, Zurich, Londres, New-York où il rencontre des marchands d'art, participe à des ventes aux enchères. Le collectionneur ne veut pas révéler le prix des pièces, les montants dépensés. Il confie seulement que parfois, il a payé certains objets très cher.

Dans la vie d'Alain Bordier, cette passion prend de la place, progressivement. Beaucoup de place. Papa de deux enfants qui ont la cinquantaine aujourd'hui, il confie avoir essuyé quelques reproches. "Au début, ils trouvaient que c'était très beau, d'avoir cette passion. Puis, ils ont trouvé que c'était trop prenant, que je finissais par les abandonner un peu."

Un bâtiment à vendre à Gruyères

Pendant longtemps, il conserve ses objets chez lui. Puis, en 2004, il apprend qu'un bâtiment est à vendre à Gruyères: la chapelle de l'ancien Château Saint-Germain. Un coup de la providence, encore une fois, selon lui. "Le destin m'a mis cette maison devant moi. Je me suis dit: c'est la maison qu'il faut!"

Il achète donc ce bâtiment historique, en fait un musée, crée une fondation. Il se sent libéré du poids de la valeur marchande de sa collection, est satisfait de la voir dans ce lieu. Un lieu "plein de spiritualité", avec cette vue sur les montagnes, qui a du sens selon lui: "Gruyères, ce n'est pas facile d'accès, il faut vouloir y aller, monter la colline. La plupart des temples bouddhistes sont comme cela. Il faut les mériter, il y a un cheminement."

6000 visiteurs annuels

Ouvert en 2009, le musée du Tibet présente aujourd'hui plus de 350 pièces d'art. Et notamment un manuscrit du XVᵉ siècle extrêmement bien préservé, qui raconte la vie de Milarépa, célèbre yogi et maître du bouddhisme tibétain.

L'institution accueille environ 6000 personnes chaque année. C'est peu comparé aux 40'000 visiteurs annuels du musée Giger, son voisin, mais là n'est pas l'essentiel pour Alain Bordier: "Les monstres Alien intéressent plus les gens que les Bouddha, mais ce n'est pas grave. C'est un musée où on peut méditer, où on peut avoir une relation avec l'au-delà, avec la vibration du monde. Finalement, il est plus confidentiel, et c'est aussi bien comme cela. L'important est qu'il dure dans le temps."

Plus proche qu'il n'y paraît

Et si vous pensez que les collections exposées au Tibet Museum sont trop exotiques pour attirer les Fribourgeois, "détrompez-vous!" lance Jean-Marc Falcombello, ami d'Alain Bordi, l'un des trois auteurs de l'ouvrage paru en octobre et également actif à Genève comme lama référent dans un centre bouddhiste.

Il détaille les liens qui existent entre Fribourgeois et Tibétains: "Le Tibet est un pays de montagne. La vie des Tibétains, encore aujourd'hui, ressemble beaucoup à ce que tous les pères et les mères des Fribourgeois ont vécu: monter aux alpages, garder les troupeaux, avoir peur des démons dans les montagnes. Les fées, les mythes et les légendes, les guérisseurs, les gens qui ont le secret, toute cette tradition populaire paysanne n'est pas si éloignée de la réalité tibétaine."

Même si bien sûr, les contextes culturels diffèrent. "Ici, on avait des visions de la Vierge Marie et au Tibet, on avait des visions de Tara! Mais le principe est le même." Selon Jean-Marc Falcombello, le parallèle peut aussi être fait du point de vue économique. "Les Tibétains étaient surtout pasteurs, agriculteurs et éleveurs. Une grande partie de l'économie tournait autour de l'élevage, de la production de beurre, de viande, de laine. Là aussi, il y a des liens forts." Seule différence notable, sourit-il: "Les Tibétains ne savent pas faire de gruyère. Leur fromage n'est pas très bon!"

Ecouter le reportage complet:

RadioFr. - Maëlle Robert
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