L'auteur du double assassinat de Sorens devant la justice

Le procès du Gruérien qui a abattu en 2020 un père et son fils dans un chalet d'alpage à Sorens s'ouvre lundi. Récit d'un crime sordide.

L'auteur du double assassinat - un agriculteur de Sorens - est passé aux aveux peu après les faits. © KEYSTONE

C’est certainement l'un des crimes les plus sordides commis ces dernières années dans le canton de Fribourg. En mars 2020, un Gruérien, aujourd’hui âgé de 33 ans, a tiré délibérément sur deux hommes, près du village de Sorens. Leurs corps avaient été retrouvés dans une fosse à purin dans un chalet d’alpage isolé, près du Gros-Prarys, sur les hauts de Marsens. 

Le procès de cet ancien agriculteur s’ouvre ce lundi devant le Tribunal d’arrondissement pénal de la Gruyère, délocalisé pour l'occasion à la salle Covid de Granges-Paccot. Il comparaît pour double assassinat, atteinte à la paix des morts, escroquerie, abus de confiance et faux dans les titres. Toutes ces infractions ont été commises sur fond d’un trafic de tracteurs.

La lecture de l’acte d’accusation, conduit par le procureur Marc Bugnon, fait froid dans le dos. Le 24 mars 2020, lors d'une nuit glaciale, un Vaudois d'origine macédonienne (47 ans) et son fils (24 ans) ont rendez-vous avec l'agriculteur de Sorens avec qui ils avaient conclu, quelques semaines auparavant, la vente de trois tracteurs d'occasion. Les 34'000 francs négociés avaient déjà été versés par les acheteurs sans qu'ils n'obtiennent, pour autant, les véhicules. L'agriculteur de Sorens a, durant plusieurs semaines, joué la montre, arguant que l'expertise des tracteurs prenait du temps à l'OCN, en raison de la situation sanitaire qui prévalait à l'époque.

Le début d'un carnage

Lors de cette rencontre du 24 mars 2020, le prévenu finit par concéder à ses deux acheteurs qu'il n'est pas en mesure de leur fournir les véhicules (il s'avérera qu'il n'était propriétaire d'aucun de trois tracteurs promis) et qu'il ne peut pas les rembourser car il a déjà dépensé l'entier de leur argent notamment dans l'achat d'un cheval (8500 francs) pour sa copine et dans un fusil de chasse (2000 francs).

Lors de la rencontre nocturne, le ton monte rapidement entre l'agriculteur de Sorens et les deux acheteurs. Le Gruérien raconte avoir été poussé au sol alors que des menaces à l'encontre de sa petite amie et sa famille auraient été proférées. Il se relève et court en direction de son pick-up où il se saisit de son fusil de chasse. Il tire un premier coup de feu en direction du père. Celui-ci se serait ensuite effondré sur le dos sous l'effet de l'impact. Son fils sort en courant et tombe nez à nez avec le prévenu, relate le Ministère public. Ce dernier tire et le touche au niveau de la jambe. Le Gruérien retourne ensuite à son véhicule, recharge son arme avec deux nouvelles cartouches et aurait crié: "Vous vous foutez de ma gueule, qu’est-ce que vous avez voulu faire?". Personne ne lui aurait répondu.

Entre-temps, le père de famille rampe à l’intérieur de l’écurie du chalet. Le prévenu se dirige vers lui et lui assène un troisième coup de feu, au haut du corps. Le père s'écroule, à nouveau, au sol. L'agriculteur sorensois ressort de l'écurie pour se diriger vers le fils qui tentait, lui aussi, de fuir les lieux en rampant au sol. Il est victime d'un nouveau tir au niveau du haut du corps, lui aussi. Selon le Ministère public, les balles n'ont touché "que les vêtements". Comme il ne dispose plus de munitions et que le blessé est toujours conscient, il le frappe violemment au visage avec la crosse de son arme. Il retourne ensuite dans l'écurie où git le père. Il le frappe aussi au visage "avec une telle violence que l’arme s’est brisée sous le choc", détaille l'acte d'accusation. À cet instant, tant le père que le fils sont inconscients et ne réagissent plus. 

Noyé dans une fosse à purin

Le prévenu serait ensuite sorti de l'écurie et aurait pleuré un court instant, selon ses propres aveux. Ensuite, il reprend ses esprits et récupère, dans son pick-up, un filet à foin qu'il étale sur le sol du chalet. À l'aide d'une lampe de poche qu'il tient dans sa bouche, il y place les deux corps qu'il a traîné au sol un à un. Il y superpose ensuite le couvercle d'une bouche d'égout, puis il précipite le tout dans la fosse à purin remplie d'eau. Avant de la refermer, il aurait vu des bulles remonter à la surface. Les analyses médico-légales confirmeront que le fils était encore vivant à ce moment-là. Il serait donc mort noyé.

Le tueur s’empresse ensuite de nettoyer la scène de crime. Il envoie un message à sa petite amie: "J’arrive dans 15 min." Il dissimule le fourgon aux plaques vaudoises et regagne son domicile, où il nettoie ses vêtements tachés de sang. Il se douche, puis mange avec son amie avant d'aller se coucher vers 21h30. 

Le lendemain, le prévenu vaque à ses occupations traditionnelles sur son domaine agricole, tandis que "ses proches n'ont rien remarqué d'anormal", note l'acte d'accusation du procureur Marc Bugnon.

Inquiets, les membres de la famille des deux victimes s'activent et contactent la police vaudoise. Le prévenu va répéter, tant aux gendarmes vaudois que fribourgeois, que le père et le fils ne se sont pas présentés au rendez-vous. 

Diagnostiqué "normal"

L’homme est finalement interpellé à son domicile durant la soirée le lendemain des faits. Lors du trajet qui l’emmène à Fribourg, il passe aux aveux auprès de la police et détaille où se trouvent les corps. Il est placé en détention provisoire à la prison centrale avant d'être transféré à Bellechasse en juin 2020. 

L'acte d'accusation décrit le prévenu comme une personne totalement responsable de ses actes. L'expertise psychiatrique n'a pas décelé de pathologie. Ainsi, "il possédait pleinement la faculté de percevoir le caractère illicite de ses actes." Le Ministère public plaidera donc l'assassinat sans préconiser des mesures thérapeutiques. S’il est reconnu coupable de ce chef d'accusation, le Sorensois encourt une peine allant entre dix ans et la prison à vie. 

Selon l'acte d'accusation, il avait bien préparé son coup, ce dernier indiquant que si la rencontre se passait mal, il songeait à "éliminer et planquer" le père et son fils.

RadioFr. - Mehdi Piccand
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