Fipronil: l'antipuce poison pour les tiques et les rivières

Le fipronil menacerait la vie aquatique. La molécule, utilisée pour les parasites des chats et des chiens, est épinglée dans un rapport.

Plusieurs antiparasitaires vendus sur le marché, sans ordonnance sont concernés. Parmi les plus connus, la marque Frontline. © KEYSTONE

Les cours d'eau en amont des STEP abreuvés en continu par un insecticide et acaricide — le fipronil — destiné aux chiens et chats. C'est le constat mis en avant par un travail de l'Eawag et de l'Observation nationale de la qualité des eaux de surface (NAWA) qui a notamment étudié la Petite Glâne vers Bussy. La molécule se retrouve dans de nombreux antiparasitaires bien connus: des produits comme Frontline, Fiproclear, Effipro, etc. (ndlr. liste non exhaustive)

Une fois dans un cours d'eau, la molécule est particulièrement dangereuse pour la biodiversité aquatique, même en quantité minime. Catherine Folly, collaboratrice scientifique dans le secteur eau superficielle du service de l'environnement de Fribourg donne un ordre d'idée: "Ce sont des nanogrammes par litre. On parle de grains de sable dans une piscine olympique. Même dans de concentrations si basses, il pose un problème pour la faune dans le cours d'eau." 

"Le fipronil est un insecticide et acaricide très toxique pour les organismes aquatiques", précise l'étude. Interdit depuis 2014 comme phytosanitaire (agriculture), le produit est toujours autorisé comme médicament vétérinaire, même par les particuliers sans prescription. Avec son autorisation retirée en 2023, le fipronil pourra être encore écoulé dans la limite des stocks jusqu'en janvier 2026.

De l'évier aux cours d'eau 

Comment un anti-tiques — au demeurant anodin — acheté en pharmacie menace-t-il aujourd'hui les cours d'eau du pays, et plus largement, du monde entier? Le fipronil, comme d'autres substances, n'est pas traité par toutes les stations d'épuration (STEP). "Se laver les mains après avoir touché son animal peut déjà poser des problèmes, commence Catherine Folly. Comme laver son chien ou mettre à la machine son panier."

Pour les cours d'eau, le seuil maximum de fipronil par litre est fixé à 3,2 nanogrammes par litre. Il sert à garantir la sécurité du cours d'eau. Les relevés présentés dans l'étude de l'Eawag montrent que cette norme écotoxicologique est fréquemment dépassée: la concentration dépasse parfois les 10 nanogrammes par litre. "Le nombre de dépassements du seuil critique de quantile (SCQ) pour le fipronil est significativement plus élevé dans les plans d'eau équipés de STEP que dans ceux qui n'en sont pas équipés", précise le rapport.

Le fipronil n'est pas le seul insecticide et acaricide qui termine dans les cours d'eau de Suisse. De nombreuses autres molécules ont été analysées. Le rapport pointe cependant le fipronil comme un cas particulier: "En 2022, aucun autre ingrédient actif autorisé comme biocide, TAM et/ou PSP n'a entraîné autant de dépassements de seuils." L'Eawag et le NAWA estiment grossièrement que, chaque année, 10 kilogrammes de la substance se déversent dans les cours d'eau helvétiques. La problématique du fipronil dans les cours d'eau est une thématique internationale: sa présence a été constatée dans 98% des prélèvements en Angleterre et 100% en Californie.

Le fipronil, une menace pour l'écosystème?

"C'est un insecticide qui n'est pas très spécifique. Il va cibler tout ce qui est insecte ou acarien, explique Léo Munné, vétérinaire et responsable du cabinet Vetmint à Givisiez.

Une fois dilué dans une rivière, le fipronil touche donc tous les insectes indistinctement, relève Catherine Folly: "Beaucoup de gens ne savent pas qu'un cours d'eau est rempli d'insectes, dans son lit, dans les sédiments, un cours d'eau est plein de vie. Tout ceci est vraiment menacé par ces fuites d'insecticides.

Contacté, Frontline Suisse, commercialisé par l'entreprise pharmaceutique Boehringer Ingelheim explique ne pas connaître les détails spécifiques de l'étude mentionnée: "La sécurité et l’efficacité des produits contenant du fipronil, tels que FRONTLINE, ont été rigoureusement évaluées et approuvées par les autorités de plus de 150 pays." Tout en rappelant soutenir la recherche scientifique en cours, l'antenne suisse de la firme allemande explique que "les produits contenant du fipronil, comme FRONTLINE sont approuvés et leur sécurité a été évaluée de manière exhaustive par les autorités compétentes."

Restreindre, voire interdire, l'utilisation du fipronil?

Reste que l'utilisation du fipronil est controversée. Depuis plusieurs années, l'utilisation de la molécule est discutée, voire dénoncée. Le journal français Libération évoque une étude qui pointe des risques pour les enfants et leur développement cognitif, son utilisation dans l'agriculture a été largement restreinte dans l'Union européenne. Le produit est donc limité dans son utilisation, mais pas chez les particuliers helvétiques. 

En Suisse, le sujet n'a pas attendu les trois études spéciales de l'Observation nationale de la qualité des eaux de surface pour s'inviter à Berne. En septembre 2024, le député UDC Jakob Stark a interpelé le Conseil des États: "Restreindre, voire interdire, l'utilisation du fipronil et de l'imidaclopride?"

Dans le texte déposé, le Thurgovien s'inquiète pour les populations d'oiseaux et de poissons suisses en déclin: "Les organismes aquatiques, notamment les insectes et leurs larves, sont une partie essentielle du régime alimentaire de base de ces animaux." Ce sont précisément ces mêmes organismes — au bas de la pyramide alimentaire — qui sont directement impactés par le rejet de fipronil dans les écosystèmes aquatiques. En s'attaquant aux petites bêtes et autres arthropodes, le fipronil menace aussi la musaraigne aquatique ou la grenouille verte.

Jakob Stark souligne que ces insecticides sont déjà interdits pour les agriculteurs. "Ces produits font l’objet de campagnes publicitaires toujours plus agressives, promettant parfois à tort la guérison, et sont vendus en grandes quantités par les vétérinaires, mais aussi dans les pharmacies, les drogueries, les animaleries et sur internet, tonne le député. Les avertissements obligatoires dans les notices d’emballage sont très souvent insuffisants, imprimés en petits caractères sur la dernière page et parfois erronés ou absents."

Le 27 novembre 2024, le Conseil fédéral a donné son avis sur la question. Il cite le travail de l'Eawag, entre-temps publié (octobre 2025). "Sur la base de ces éléments, la Confédération et les cantons réexamineront le programme de mesure NAWA et l’adapteront si nécessaire." Au vu des résultats, une réaction de la part de l'exécutif est-elle attendue?

Des solutions existent

L'utilisation du fipronil régresse, pas seulement pour son potentiel de nocivité. "Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il est de moins en moins utilisé, explique Léo Munné. Une qui n'est pas des moindres, c'est qu'il y a de plus en plus de parasites qui ont des résistances à ce médicament."

Pour le remplacer, Léo Munné cite des alternatives qui peuvent s'administrer par voie orale. Des molécules "à la fois plus efficaces et qui restent moins longtemps dans l'environnement". Éliminées par voie urinaire ou digestive, leur expression n'est toutefois pas nulle. Pour limiter son impact sur l'environnement, le vétérinaire rappelle donc l'importance de ramasser les déjections de son animal, qui plus est si ce dernier est en traitement.

À Fribourg, la planification cantonale prévoit plusieurs stations d'épuration de nouvelle génération. Elles doivent à terme pouvoir traiter les micro-polluants comme le fipronil. Dans le canton, les STEP d'Écublens et de Laupen en sont déjà capables.

RadioFr. - Nathan Clément
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