"La politisation de l'espace dérange"

Notre article sur Birragusta a fait vivement réagir sur les réseaux. Nous revenons dessus avec l'éclairage d'une spécialiste des questions de genre.

Ghaliya Djelloul est chercheuse au Centre études genre à l'Université de Lausanne. © Pexels/DR

La semaine dernière, nous avions publié un article sur le concept d'une jeune Fribourgeoise: des dégustations de bières en non-mixité choisie, en l'occurrence réservées aux femmes. Après l'avoir partagé sur nos réseaux sociaux, la réception a été vive: des centaines de commentaires ont plu sous la publication, générant un débat sur d'importants thèmes sociétaux, comme les discriminations de genre. Il a semblé important pour notre rédaction de revenir sur quelques-unes de ces questions avec l'éclairage d'un.e expert.e, dans le but d'offrir une réponse constructive à la virulence des réactions. Nous vous proposons donc cet entretien avec Ghaliya Djelloul, sociologue au Centre études genre à l'Université de Lausanne.

Frapp: Des lecteurs et lectrices ont estimé que ce concept discriminait les hommes. Qu'est-ce que ces réactions vous évoquent? 

Ghaliya Djelloul: On s'imagine souvent que le niveau de conscience est plus élevé par rapport aux questions de genre, d'espaces et d'inégalités. Mais en réalité, étant donné que nous avons toutes et tous baigné dans un système patriarcal, c'est une réaction de défense qu'on a intégrée en nous.

Réserver aux femmes un espace sans homme, pourquoi ça dérange? 

Ce n'est pas l'existence d'espace sans homme qui dérange, mais la politisation de cet espace. Il existe deux leviers par lesquels ces réactions s'opèrent: d'abord, les femmes reprennent du pouvoir en décidant qui entre dans cet espace ou pas, puis, le potentiel subversif de celui-ci, c'est-à-dire comment on s'y réapproprie des rôles et des savoirs qui, au final, vont en faire un lieu d'autonomie politique et de solidarité en dehors des rapports de domination pour se transformer et développer des ressources qui font qu'au quotidien, dans des espaces mixtes, on va lutter contre les systèmes qui nous marginalisent. 

L'inclusion d'un groupe par l'exclusion d'un autre, n'est-ce pas injuste?

Il ne s'agit pas d'intégrer un groupe, mais d'ouvrir un espace pour des personnes qui partagent une condition collective. Elles vont y trouver de la sécurité, elles sont sûres qu'elles ne vont pas recevoir des remarques qui les mettront mal à l'aise. Ce n'est pas une intégration contre un groupe, mais une réappropriation.

Dans une perspective d'égalité, ça doit donc aller dans les deux sens...

On ne peut pas poser une équivalence là où des asymétries existent. Si l'égalité était déjà là, oui. Mais on ne peut pas nier le poids de siècles d'organisation patriarcale qui s'est sédimentée dans les couches de la société. Bien sûr, les luttes féministes ont œuvré pour ouvrir des lieux de non-mixité choisie entre les hommes en tant qu'espaces de pouvoir, pour que les femmes puissent y accéder. Mais ici, il s'agit de lutter contre le sexisme ambiant.

Il y a quelques mois, un événement de Fri-Son destiné aux minorités de genre avait aussi provoqué un tollé sur les réseaux. Comment apaiser ce débat, selon vous?

L'égalité, c'est un horizon, un projet de société. Chaque personne peut se positionner différemment une fois qu'elle comprend où elle est située socialement. La première prise de conscience, c'est le besoin des personnes marginalisées d'avoir leurs espaces. Les soutenir et participer à des moments où elles sentent qu'elles ont des alliés, c'est une manière pour chacun et chacune de trouver sa place dans cette lutte collective. 

Frapp - Alexia Nichele
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