Handicaps: "La Suisse a encore du chemin à faire"
La directrice de Pro Infirmis Fribourg, Giovanna Garghentini-Python, revient sur les principaux défis dans le domaine de l'aide aux personnes en situation de handicap.
RadioFr: Vous partez à la retraite après avoir passé presque six ans à la tête de Pro Infirmis Fribourg, marquées notamment par des soucis financiers. D'abord des subventions de l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) qui n'ont pas augmenté, mais aussi des pertes en 2022 sur les marchés boursiers. 18 millions en moins pour Pro Infirmis Suisse. Qu'en est-il pour Pro Infirmis Fribourg?
Giovanna Garghentini-Python: Le déficit structurel de Pro Infirmis était connu depuis des années [...] La perte sur les marchés boursiers de 2022 est venue accélérer les décisions. Lorsqu'un nouveau bureau a été élu l'année passée à la tête de Proi Infirmis Suisse, des mesures assez importantes pour notre organisation ont été prises. Et pour la première fois, des heures ont été coupées dans la consultation sociale, qui est vraiment le tronc de Pro Infirmis. À Fribourg, ça représente plus de 11'000 heures de travail. Et comme l'OFAS n'a pas augmenté sa subvention depuis 2010, c'est vrai qu'on se retrouve dans une situation financière assez difficile.
Que fait le canton de Fribourg pour Pro Infirmis Fribourg?
Le canton de Fribourg soutient relativement bien la consultation sociale. Ce n'est pas là où on a le plus de problèmes ici. Mais depuis que la direction de Pro Infirmis Suisse a décidé de couper malgré tout des heures dans la consultation sociale, on doit faire moins. À qui dire non? Qui refuser? Que faire en moins? En termes d'heures, on doit en faire 800 de moins cette année déjà.
Cette situation, ça signifie des personnes qui se retrouvent complètement démunies face à des situations du quotidien. Avez-vous un exemple?
On a décidé de ne plus prendre de nouveaux clients pour remplir la feuille d'impôt. Pour l'instant, on n'a pris cette décision uniquement, parce qu'on a pu sauver tous les postes de travail. On ne se retrouve pas encore en sous-effectif et nous pouvons encore répondre aux autres demandes.
Vous parlez de la consultation sociale qui souffre de cette situation financière. Mais il y a aussi le service de relève qui est touché par tout ça...
Le service de relève permet à des proches aidants, donc des proches qui s'occupent de leurs proches en situation de handicap, mineurs ou adultes, de souffler un peu [...] c'est un service qui a fait face à une énorme augmentation grâce à la subvention de l'État de Fribourg, parce qu'on a pu mettre en place un tarif différencié, notamment pour les familles. Donc ça a fait comme un appel d'air: quand nos tarifs ont baissé, évidemment beaucoup plus de familles nous ont demandé des relèves. Et on a subi une énorme perte en 2022 de plus de 200'000 francs. Maintenant, malheureusement, on a décidé de ne faire que les heures qui nous sont subventionnées par l'Etat. En 2022, on avait fait plus de 5000 heures de relève auprès des mineurs. Et là, on va baisser à 2300 environ.
Qu'est-ce que ça signifie alors pour les familles des mineurs qui ne peuvent pas bénéficier de ce cours?
Ça signifie que les familles ne savent pas où se retourner. Depuis la rentrée, on a dû refuser 44 nouvelles situations. Avec l'argent qu'on reçoit à disposition du canton de Fribourg, on ne peut venir en soutien qu'à 18 familles. Il existe des relèves aussi auprès d'autres partenaires, mais qui ne sont pas spécialisés dans le handicap. Nous, on a assez peur qu'il y ait des situations qui s'aggravent, qui finissent peut-être au SEJ, ou devant des instances judiciaires, parce que les parents sont à bout. Pour nous, c'est une situation critique. Et ce n'est vraiment pas facile de refuser ces personnes.
Vous le disiez, il existe donc d'autres institutions qui proposent un service similaire. En quoi c'est important de faire appel à Pro Infirmis Fribourg plutôt qu'à, par exemple, la Croix-Rouge?
Pro Infirmis n'intervient pas en service d'urgence. Donc, quand on met en place une situation de relève. Selon les handicaps, le suivi venant de la même équipe est très important. En plus, chez nous, le personnel est formé aux situations de handicap. Quand on doit intervenir auprès d'un enfant, par exemple, qui a des troubles du spectre de l'autisme, il faut quand même au moins une formation pour pouvoir réagir de façon adéquate.
Cette année, ça fait dix ans que la Suisse a ratifié la CDPH, une convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Et par son adhésion, la Suisse s'est engagée à éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les personnes en situation de handicap, à les protéger contre les discriminations et aussi à promouvoir leur inclusion dans la société. Dix ans après, où est-ce qu'on en est ?
On a fait un certain chemin, mais il reste beaucoup, beaucoup à faire. Dans l'inclusion au niveau des crèches déjà, de l'école, du travail, de la santé, de la justice, dans la sexualité. Alors, c'est vrai que ça avance, mais c'est très lent. Le comité de l'ONU a fait un rapport sur la mise en œuvre de la CDPH en Suisse. Et la Suisse a reçu une mauvaise note.
En parallèle à ça, il y a la LHand, la loi sur l'égalité pour les personnes handicapées. Les communes suisses avaient jusqu'au 1er janvier de cette année pour adapter l'accès aux transports publics. Dans le canton de Fribourg, en début d'année, la moitié des arrêts étaient encore inaccessibles. Comment l'expliquer?
C'est assez scandaleux. Les milieux des handicaps sont assez révoltés contre cette situation, parce que les communes et les cantons avaient 20 ans pour rendre ces quais et ces bus accessibles. Et c'est seulement dans les dernières années qu'ils se sont rendu compte que le délai approchait.
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