La galère des médecins assistants à l'HFR

Heures supplémentaires, manque de personnel et épuisement: les médecins assistants souffrent d'un système de santé malade. Témoignages.

"Durant les premiers mois, c'était assez courant, finalement, que chacun à notre tour, on fonde en larmes un soir en se disant qu'on n'y arriverait jamais", témoigne un médecin assistant. © Frapp

En mai dernier, un rapport publié par l'Association suisse des médecins-assistant-e-s et chef-fe-s de clinique (ASMAC) dressait un bilan sombre de la surcharge de travail des médecins assistants et des médecins de clinique en Suisse. 80% sont épuisés physiquement et émotionnellement. Près des deux tiers se disent qu'ils n'en peuvent plus. Une situation qui a empiré ces dernières années.

A l'HFR, les médecins assistants ne sont pas étrangers à cette situation. Face à la pression, en particulier en début de formation, certains craquent. "Durant les premiers mois, c'était assez courant, finalement, que chacun à notre tour, on fonde en larmes un soir en se disant qu'on n'y arriverait jamais", témoigne Philippe*, médecin assistant à l'HFR depuis une année.

Apprendre à se débrouiller seul

Les médecins en formation accumulent rapidement les heures supplémentaires. "Nous avons des contrats à 50 heures par semaine, le maximum légal. En vérité, je travaille plutôt 60, voire 70 heures par semaine", explique Martin*, lui aussi médecin assistant. Ces heures hors contrat ne sont pas rémunérées, même si elles sont généralement récupérées. "C'est du bénévolat."

Derrière cette surcharge se cache pour certains une absence de soutien de la part de la hiérarchie. "Il y a un manque d'investissement et de formation, dénonce Philippe. Beaucoup de choses nous retombent dessus. On doit apprendre à se débrouiller tout seul, ce qui fait partie de la formation, mais sans avoir la possibilité de faire part de ses doutes et d'avoir de l'appui dans certaines situations."

Pour le professeur Julien Vaucher, médecin-chef de service de médecine interne, ce manque de soutien peut s'expliquer par la pénurie généralisée du personnel de santé, une situation qui s'aggrave de plus en plus dans toute la Suisse. "Dans certains services, cela peut se traduire par un manque de superviseurs." Il souligne tout de même que les services essaient d'accompagner au mieux les jeunes qui arrivent, notamment au travers d'un système de jumelage avec des assistants qui connaissent déjà le fonctionnement de l'hôpital.

Le médecin pointe aussi du doigt la formation universitaire. "On est en droit de se demander si les études préparent bien au travail à l'hôpital. Durant les stages et les études, on s'occupe d'un nombre restreint de patients. Du jour au lendemain, les jeunes médecins se retrouvent à assumer la responsabilité d’une dizaine de malades. Il y a une meilleure transition qui doit être faite."

Fatigue et empathie

Ce manque de personnel ne touche évidemment pas que la hiérarchie. Au travers de stages et de sa formation comme médecin assistante, Jeanne* a plus de deux ans d'expérience au sein de l'HFR. Elle note que les heures supplémentaires s'accumulent dès qu'une personne est absente dans un service. Dans les petites équipes, ces absences se traduisent par une pression sur le reste des collègues. "On en veut à la personne qui était en arrêt, alors que c'est totalement stupide, n'importe qui peut avoir des problèmes de santé, réalise Jeanne. Ce sont des sentiments difficiles à assumer parce qu'on n'a pas envie de se sentir comme ça."

La surcharge de travail, ainsi que la fatigue physique et émotionnelle au sein des médecins assistants à l'HFR affecte la base même de leur travail. "Au bout d'un moment, on a de la peine à garder de l'empathie active envers les patients, se désole Philippe. Et même si je fais tout pour que cela ne se traduise pas dans mes interactions avec les personnes, au fond de soi, on est comme anesthésié. C'est frustrant, parce que c'est un métier de relation, mais le contexte nous empêche de le mettre en pratique."

Quelles solutions?

Les médecins assistants se rendent bien compte qu'avoir plus de budget et de personnel n'est pas facile. "Mais ceux qui prennent les décisions, en général, ne mettent pas un pied dans nos services, dénonce Jeanne. C'est en sachant comment on travaille pendant les périodes les plus intenses qu'on se rend compte que si en théorie, on est assez, en pratique, ce n'est jamais le cas."

Les choses avancent lentement au niveau politique. Il y a les syndicats qui demandent des réductions d'heures de travail, ce qui n'est pas une solution à court terme pour Martin. "Spécialement dans le milieu de la chirurgie, parce que nous avons besoin de temps pour la théorie, pour être avec les patients, et pour tout ce qui est des interventions. Tout ça ne peut pas être fait en une semaine de 50 heures. En réduisant ces heures, on va juste travailler autant qu'avant, mais être moins payé. On se tire une balle dans le pied."

Quelle solution faut-il adopter? Pour Martin, il faut payer les heures supplémentaires illégales, comme c'est le cas actuellement à Genève ou à Berne par exemple, plutôt que les compenser par des jours de congé. Il y a aussi un travail à faire au niveau de la répartition des tâches, en particulier du côté administratif, avec l'aide du secrétariat. "Beaucoup d'heures pourraient être réduites si on avait plus d'aide des autres corps de métier de l'hôpital", estime Martin.

"Dans tous les métiers liés aux soins, il faut repenser notre façon de s'organiser pour faire face à la pénurie qui va en s'aggravant", affirme Julien Vaucher. Le chef de service note par exemple que même l’intelligence artificielle pourrait être une solution dans un avenir relativement proche. Et puis, il y a évidemment la question budgétaire. "On sait que les hôpitaux en général sont sous-financés, et Fribourg n'y échappe pas. Il y a un vrai travail politique à faire pour que le financement corresponde à l'activité réelle que les gens vivent sur le terrain."

*Prénoms d'emprunt

Frapp - Mattia Pillonel
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