L'un des oiseaux les plus menacés du monde niche à Vaulruz
Il y a 400 ans, l'Ibis chauve a presque disparu d'Europe centrale. À la surprise générale, un couple niche actuellement à Vaulruz.
Espèce présente au Moyen-Âge en Europe centrale, l'Ibis chauve a quasiment disparu du vieux continent depuis maintenant 400 ans. Et pourtant, un couple s'est trouvé cet été un foyer... à Vaulruz! Le mâle, Oscar, et sa femelle, élèvent actuellement trois jeunes dans le village gruérien.
Il y a encore une vingtaine d'années, l'Ibis chauve comptait parmi les cent espèces les plus menacées au monde. Il n'existait que deux colonies au Maroc. Des programmes de réintroduction, lancés d'abord en Autriche puis en Allemagne, ont permis d'augmenter le nombre d'individus.
Grâce à ces efforts, "il y a eu de plus en plus d'observations dans le canton de Fribourg ces dernières années", confirme Adrian Aebischer, collaborateur scientifique au Service des forêts et de la nature (SFN). Mais jusqu'à cette année, jamais un couple n'avait niché dans la région.
Deuxième tentative pour Oscar
Les deux oiseaux de Vaulruz proviennent d'un élevage situé au nord du lac de Constance, en Allemagne. Personne ne peut expliquer avec certitude pourquoi ces oiseaux ont choisi de nicher dans notre canton. "L'habitat n'a pas énormément changé ces dernières décennies", s'étonne Adrian Aebischer. "Ce qui est sûr, c'est qu'ils y trouvent assez de nourriture". Ces oiseaux se nourrissent de larves d'insectes, de vers de terre et d'autres invertébrés.
Oscar, le mâle, connaît en réalité bien la région. Âgé de cinq ans, il a déjà essayé de nicher à Vaulruz l'année dernière, mais sans succès, probablement car il n'avait pas encore de partenaire, nous explique Adrian Aebischer. Le couple de Vaulruz n'est par contre pas le premier à nicher récemment. En 2023, un autre avait déjà réussi à élever deux jeunes sur le balcon d'un garage de moto près de Zurich. Les individus qui viennent du programme de réinsertion allemand n'ont pas peur de la proximité de l'homme.

De nombreux dangers
L'avenir de cette petite famille reste tout de même incertain. L'une des plus grandes menaces pour les Ibis chauves est la migration. En principe, les oiseaux qui passent par la Suisse voyagent vers la Toscane, en Italie. La route est périlleuse: ils doivent traverser les Alpes, parfois dans des conditions météorologiques difficiles, et trouver des sites d'escale pour se nourrir. Les jeunes, qui n'ont jamais fait ce trajet, sont alors particulièrement vulnérables.
"En Italie, malheureusement, il y a aussi eu des cas de braconnage", déplore Adrian Aebischer. Les accidents avec des infrastructures humaines, comme les lignes électriques ou le trafic routier, sont aussi une cause importante de mortalité. Malgré ces risques, certains Ibis chauves peuvent vivre jusqu'à 30 ans, confirme le biologiste.
Un possible retour
Pour l'instant, le Service des forêts et de la nature suit de près la situation, et est prêt à agir si l'un des individus est retrouvé blessé. Mais mis à part en encourageant une agriculture extensive riche en invertébrés, il est malheureusement difficile de favoriser activement leur nidification dans le canton.
Alors oui, l'espèce n'est pas considérée comme faune indigène, "mais il faut faire tout ce qu'on peut pour qu'ils nichent ici", insiste Adrian Aebischer. "Car vu le niveau de menace à l'échelle mondiale, chaque couple qui peut élever des jeunes participe à la protection de l'espèce."
L'espoir est que le couple revienne l'an prochain. "Beaucoup d'Ibis chauves nichent au même endroit d'année en année", indique le biologiste. "Les couples de cette espèce sont fidèles, donc on peut imaginer les revoir l'année prochaine." Une nidification réussie pourrait attirer d'autres couples et potentiellement former une colonie, ce qui est courant pour cette espèce.
Cependant, rien n'est garanti. À Zurich, un seul des deux parents est revenu en 2024. "L'autre a été tué en Italie", confirme Adrian Aebischer. Le parent seul n'a pas retrouvé de partenaire, et est donc retourné au nord du lac de Constance.