"La biodiversité nous rend des services inestimables"

Après plus de 40 ans à défendre la nature en Suisse romande, François Turrian, Directeur romand de Birdlife, tire sa révérence. Interview.

Directeur romand de Birdlife et premier directeur du Centre-Nature de La Sauge à Cudrefin, au bord du lac de Neuchâtel, François Turrian part à la retraite. © BirdLife Suisse

Directeur romand de Birdlife et premier directeur du Centre-Nature de La Sauge à Cudrefin, au bord du lac de Neuchâtel, François Turrian part à la retraite. En plus de 40 ans de carrière, il a incarné la défense de la biodiversité en Suisse romande.

RadioFr.: François Turrian, un constat cruel: la biodiversité stagne quand elle ne régresse pas. Est-ce un échec pour la Suisse?

François Turrian: Évidemment, c’est un bilan assez contrasté. Dans le côté positif, j’observe que de plus en plus de personnes s’intéressent à la nature, suivent des cours de formation, s’engagent aussi individuellement et localement pour la biodiversité. Dans le côté négatif, on a un problème de fond avec le monde politique, qui ne prend pas encore la mesure de l’importance de cette cause dans notre société. Et ça se traduit par de la stagnation. La Suisse n’avance pas en matière de préservation du vivant et on est forcé de reconnaître que nos associations n’ont pas encore réussi à faire passer ce message dans le monde politique.

L’initiative sur la biodiversité a été refusée il y a un peu plus d’une année. Vous avez tenté le tout pour le tout, en allant chercher un appui populaire pour faire pencher les décisions des pouvoirs publics du bon côté. Mais là non plus, vous n’avez pas réussi.

C’était un échec, il faut le reconnaître. Dans les sondages, les Suissesses et les Suisses disent bien que la nature est quelque chose de précieux pour eux. Mais il y a un décalage entre cette perception-là et la réalité de terrain que nous rappellent tous les jours les scientifiques, que la biodiversité se porte mal et qu’il y a lieu d’agir. Je pense qu’il faut aussi remettre en question la manière de communiquer. On s’adresse quand même davantage aux gens convaincus. Il faut arriver à changer un petit peu le message pour s’adresser aussi à toutes celles et ceux qui sont éloignés de ces thématiques-là. L’intérêt économique voudrait qu’on investisse pour la biodiversité puisque c’est un investissement qui doit assurer aussi notre prospérité à long terme. Malheureusement, beaucoup de personnes ne l’ont pas compris.

L’urbanisation et l’industrialisation nuisent à la biodiversité. Cela ne touche pas seulement à la survie d’espèces sauvages, mais aussi aux conditions générales de vie des êtres humains?

Comme le problème climatique, la perte de biodiversité est accélérée d’un facteur mille par les activités humaines non contrôlées. Derrière les plantes, les champignons, les animaux, se joue en fait toute une trame dans les systèmes naturels, et cette biodiversité nous rend des services inestimables. On peut respirer de l’air propre, consommer de l’eau potable, se nourrir d’aliments sains, se vêtir ou même se soigner grâce aux bienfaits de différentes espèces de plantes thérapeutiques. Ces services que nous rend la nature gratuitement, pour autant qu’on la respecte, sont quelque chose de fondamental. Il faut le rappeler aux gens qui ont l’impression qu’il s’agit juste de protéger « quelques plantes et quelques animaux ».

Que répondez-vous à ceux qui vous disent, vous qui êtes ornithologue, que de toute façon des oiseaux, il y en aura toujours?

Oui, il y en aura toujours. Peut-être même qu’ils nous survivront, ce n’est pas du tout exclu. On a des espèces qui s’adaptent ; il n’y a qu’à voir l’exemple des corneilles qui profitent de nos déchets et de notre agriculture intensive. Mais ce déclin et ces espèces qui disparaissent, c’est finalement une fragilisation de tout l’édifice, de tous les systèmes naturels. Dans les prairies artificielles de montagne, par exemple, on a maintenant beaucoup plus d’éboulements et d’érosion qu’auparavant à cause de la perte de diversité des racines.

Le développement industriel et la prospérité qui nuisent en partie à la biodiversité, c’est tout de même ce qui a permis à la société d’avoir des conditions de vie meilleures.

Je pense que ces conditions de vie sont largement en train de se détériorer. Si on observe autour de nous, on voit quotidiennement des événements naturels, avec des dégâts considérables à nos infrastructures. Il y a une hausse de mortalité due à la perte de biodiversité et au réchauffement climatique. C’est un défi pour les assurances d’ailleurs qui doivent payer des sommes de plus en plus élevées. Ce sont des coûts d’inaction colossaux que nos sociétés doivent déjà supporter.

Que faut-il faire alors? Est-ce qu’il y a une recette miracle?

Il y a plusieurs éléments. Déjà, il faut se rendre compte que c’est l’un des enjeux fondamentaux de notre société. On parle souvent en ce moment de sécurité, mais il faut aussi sécuriser les questions climatiques et les questions de biodiversité. Ensuite, c’est essayer de s’engager à titre personnel, d’être aussi exigeant vis-à-vis de nos autorités. On ne peut pas mettre l’effort uniquement sur les engagements personnels et privés. Il faut que les collectivités, les communes, les cantons, la Confédération et plus largement la communauté des nations s’engagent.

RadioFr. - Serge Jubin, correspondant parlementaire / Mattia Pillonel
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