"En Egypte, j'ai mis ma vie en danger pour la Palestine"
De retour de la Marche mondiale vers Gaza, la Fribourgeoise Saliha Mamouni raconte cette mobilisation de solidarité, et l'hostilité des autorités égyptiennes.
Saliha Mamouni ne s'attendait pas à vivre "l'enfer" en Égypte. Administratrice des groupes suisse et français de la Global March to Gaza, elle témoigne aujourd'hui de ce mouvement mondial - fort de 350 Suisses - qui devait être une marche pacifique vers Rafah pour acheminer de l'aide humanitaire au peuple palestinien.
Rafah se situe sur la frontière séparant l'Egypte et la bande de Gaza:
Tout avait pourtant commencé selon les règles. "Il y a deux mois, nous avions fait des demandes, pour chaque délégation. Il y en avait 54 au total", explique la Fribourgeoise, de retour d'Egypte. "Nous avons tous demandé à l'ambassade d'Égypte de nous accorder l'autorisation de faire cette marche pour acheminer l'aide humanitaire et demander le cessez-le-feu."
L'objectif était clair: aller jusqu'à Rafah, à la frontière avec Gaza, dès le 13 juin. "Nous ne sommes pas des kamikazes. Nous voulions juste faire passer de l'aide humanitaire parce que ces camions ne passent pas", précise-t-elle. Face au silence des autorités égyptiennes, les organisateurs avaient même renouvelé leur demande, sollicitant un encadrement militaire pour sécuriser la marche dans cette "zone militarisée avec 16 checkpoints, des endroits minés".
"Nous avons tous cru qu'une réponse qui ne venait pas était peut-être une réponse positive", se souvient-elle avec amertume.
"Ils avaient hacké la liste des Français"
Dès leur arrivée au Caire, les signes inquiétants se multiplient. "Déjà le 10, des personnes étaient arrêtées à l'aéroport quand ils voyaient les sacs à dos. Des rafles ont été faites dans les hôtels des Français. Ils avaient la liste des Français parce qu'ils avaient hacké la liste des Français, on ne sait pas comment."
La délégation suisse échappe dans un premier temps aux arrestations: "Nous, les Suisses, on est passés entre les gouttes." Mais le répit est de courte durée.
Le 13 juin, jour J, la marche devait débuter à 8 heures avec des bus du Croissant-Rouge. Mais à 11 heures, l'information tombe: "Il n'y avait plus de bus. Il faut savoir que les bus du Croissant-Rouge, c'est l'État égyptien." L'ordre arrive à midi: partir en ville, mais chacun avec des Uber.
"On voyait qu'on était suivis", raconte Saliha. Au troisième checkpoint, c'est l'arrestation. "On nous a pris le passeport. On est restés bien une heure et demie sous le soleil, 45 degrés, à attendre nos passeports."
2000 personnes dans le désert: "Une magnifique solidarité"
Au deuxième checkpoint, le spectacle est impressionnant. "On était très, très nombreux, environ 2000 personnes de différentes nationalités. On s'aidait. On était là pour aller à Rafah. On y croyait."
L'espoir demeure encore. "On pensait que s'ils nous avaient laissés partir jusque-là, ils nous laisseraient aller jusqu'à Rafah parce que notre but n'était pas d'aller à Gaza."
Mais les autorités égyptiennes photographient leurs passeports, signe préoccupant pour la Fribourgeoise. "On savait que s'ils les photographiaient et qu'on rentrait, on allait avoir les mêmes rafles que les Français dans les hôtels." Les expulsions des marcheurs en dehors-du territoire commencent.
Face au dilemme - partir ou rester - Saliha a choisi de rester avec le groupe suisse "parce que je me sentais responsable d'eux." En tant qu'administratrice des groupes, Saliha avait préparé le terrain. "Je leur ai tout de suite demandé d'envoyer à leur famille ces contacts juridiques s'il nous arrivait quelque chose."
Mais rien ne se passe comme prévu. "La police nous a encerclés. Et puis, de temps en temps, ils faisaient passer une milice habillée en robe longue blanche, avec un keffieh sur la tête, qui venait nous frapper avec des bâtons, donner des coups de pied. Ils tiraient les cheveux des femmes, les personnes âgées. Ils les frappaient pareil. Il n'y avait aucune distinction."
L'incompréhension de Saliha est totale. "Moi, dans ma tête, c'était: à un moment, on va arriver à négocier. Ils vont voir notre démarche. Nous étions pacifiques, assis, sans cris, sans violence. Ils vont nous laisser aller donner de l'alimentation à Rafah."

Mais la réalité est tout autre. "Ils frappaient les gens pour les mettre dans le bus et pour les faire partir. On ne savait pas où." Certains sont emmenés vers l'aéroport, d'autres comme Saliha sont "déposés au bord de l'autoroute à 10 minutes d'où nous avions été arrêtés".
"On a vécu l'enfer", résume-t-elle. "Je crois qu'on a été un exemple pour l'Égypte. Ils nous ont emmenés dans un traquenard pour montrer que si d'autres personnes désiraient avoir la même démarche que nous, regardez ce qui peut vous arriver."
"Je ne pensais pas avoir des risques en Égypte"
Aujourd'hui, Saliha réalise l'ampleur de ce qu'elle a vécu. "J'ai mis ma vie en danger pour la Palestine. On savait qu'on pouvait être en danger à la frontière, qu'on avait déjà vu Israël attaquer des bateaux dans des eaux internationales. Tout le monde le savait que nous pouvions avoir des risques. Mais je ne pensais pas qu'en étant en Égypte, un pays quand même musulman, un pays proche normalement du peuple palestinien, à voir cette violence."
Le lendemain, l'étau se resserre. Son visage apparaît sur TikTok, malgré son pseudonyme habituel sur internet. "Le service juridique m'a téléphoné. Il m'a dit que j'étais en danger." L'ordre tombe: les Suisses doivent rentrer sous 48 heures. "Ce n'était plus la peine de rester, on se mettait en danger nous-mêmes parce qu'on avait partagé des vidéos de ce qui se passait."
Les conséquences se font immédiatement sentir. Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux provoquent un appel au boycott très fort contre l'Égypte. "La population égyptienne a commencé à se fâcher après nous. Je ne suis pas sortie de la chambre. Les hôtels étaient contre nous. Les taxis étaient contre nous."
Un "échec"
Malgré cet "échec", comme elle le qualifie, Saliha ne regrette pas son engagement. "Le peuple palestinien souffre de famine actuellement, sous les bombardements. Ils ont à peine une dizaine, voire une vingtaine de camions d'aide humanitaire de l'autre côté. Ils soignent sans anesthésie. Si les gouvernements faisaient leur travail, nous n'aurions pas eu besoin d'y aller."
Saliha garde un message d'espoir. "J'aimerais vous dire que l'humanité n'est pas morte. J'ai vu plusieurs nationalités de toute religion, de toute confession, un magnifique élan de paix entre nous. La paix, elle est là, il suffit de le vouloir."