La pharma verse des centaines de milliers de francs à l’HFR

L’hôpital fribourgeois a touché 192’983 francs d'entreprises pharmaceutiques en 2023. Mais sans risque de conflit d’intérêts, selon lui.

Ces sommes financent la formation des médecins, des progammes de recherche et l’organisation de conférences. © KEYSTONE/ANTHONY ANEX

192’983 francs versés par Novartis, Roche ou AstraZeneca à l'HFR… Une trentaine d’entreprises pharmaceutiques au total en 2023, selon les données de Pharmagelder.ch, qui recense les versements déclarés par les médecins et les hôpitaux. Il y a quelques jours, la plateforme a mis en ligne les sommes versés en 2024: elles ont pratiquement doublé par rapport à l'année précédente, à 373’910 francs.

En 2023, Novartis a ainsi payé 10’500 francs, AstraZeneca 11’950 francs tandis qu’Amgen signe le record annuel avec 25’018 francs. À titre de comparaison, le budget global de l’HFR s’élevait cette même année à près de 547 millions de francs.

Comment cet argent est-il utilisé? Deux tiers des sommes sont labellisées comme du sponsoring: elles financent des formations et des colloques dispensés aux médecins, internes ou externes à l’HFR. Le reste est réparti entre des fonds de recherche et l’organisation de conférences.

Un risque pour l’indépendance des médecins?

Du point de vue général, ces versements sont très problématiques pour Simon Zurich, vice-président de l’Organisation suisse des patients. "Dans le domaine oncologique, nous avons des traitements qui coûtent des sommes faramineuses, des centaines de milliers de francs par année, avec une forte concurrence entre les sociétés pharmaceutiques pour les positionner auprès des médecins. Elles vont donc les inviter à des congrès et des formations continues" pour tenter de les orienter vers les traitements présentés, selon lui.

L’hôpital fribourgeois balaye ces craintes: "Ce ne sont pas les laboratoires pharmaceutiques qui décident du programme des formations dispensées aux médecins généralistes à l’HFR", explique Daniel Hayoz, chef du service de la relève et de la recherche. "Ce sont les médecins eux-mêmes qui demandent à être formés sur certains sujets." Il reconnaît toutefois que ces soutiens sont pour les laboratoires "une manière d’exister, en montrant qu’ils participent à la formation", mais sans relation directe avec un médicament, précise-t-il.

Les médecins doivent suivre les recommandations des sociétés savantes

Autre argument avancé par l’hôpital: les médecins sont tenus par les directives des sociétés savantes. "Ils ont donc très peu de marge de manœuvre pour prescrire une autre molécule parce qu’un laboratoire les aurait influencé", défend Daniel Hayoz.

L’HFR défend encore que les montants publics dédiés à la formation sont bien insuffisants: pas plus de 750 francs par an et par médecin. L’hôpital se voit donc obligé de trouver de l’argent ailleurs.

"Les médecins ne touchent pas directement d’argent"

Outre le soutien à la formation, une partie des versements de l’industrie pharmaceutique est dirigée vers des programmes de recherche. "L’argent est versé sur un fonds géré par l’hôpital" et ne transite donc pas directement par les médecins, selon le chef de service à l’HFR. Ces fonds sont utilisés pour payer le salaire des infirmières de recherche.

L’hôpital défend que cet argent permet de s’entourer de spécialistes d’un domaine grâce aux recherches cliniques menées dans ses murs. "Vous faites ainsi partie d’une communauté de scientifiques à la pointe, ce qui garantit la qualité de la prise en charge" des patients, estime Daniel Hayoz. Il explique que Fribourg se profile ainsi comme leader dans le traitement des cancers.L’Organisation suisse des patients reconnaît que ces fonds peuvent favoriser la recherche. Elle se dit aussi rassurée que les médecins ne touchent pas directement cet argent, mais ajoute que chaque situation dépend beaucoup des contrats passés avec les entreprises pharmaceutiques.

Demande de transparence

Pour garantir la confiance, la faîtière des patients demande de faire toute la lumière sur ces versements. Actuellement, seul le secteur pharmaceutique est soumis à l’obligation de déclarer ses contributions. Celui des technologies médicales (les fabricants de pacemakers, prothèses ou lentilles de contact par exemple) en est épargné.

"C’est un énorme problème", réagit Simon Zurich, le vice-président de l’Organisation suisse des patients. "La première étape serait de rendre ces versements systématiquement transparents, afin que les patients puissent s’informer et savoir si la prothèse que leur recommande leur médecin est pertinente, ou si ce dernier le fait dans un intérêt économique."

Une initiative parlementaire socialiste proposant d’étendre le principe de transparence aux med-tech est justement en cours d’examen au Parlement fédéral.

Comment avons-nous procédé ?

Sur la base des données publiques de Pharmagelder.ch, plateforme gérée par quatre médias du groupe Ringier, nous avons identifié les sommes concernant l’HFR en 2023 (à savoir les pages HFR-Hôpital cantonal de Fribourg et Hopital fribourgeois), dernière année renseignée sur le site au moment de mener nos recherches et d'interroger les représentants de l'institution.

Nous avons demandé à l'hôpital de nous confirmer les sommes énoncées. Il nous a indiqué ne pas être en mesure de les certifier, en raison d’un volume de travail important dans son département des finances. Il ne conteste cependant pas ces sommes et indique que «les entreprises pharmaceutiques n’ont aucun intérêt à annoncer des montants qu’elles ne verseraient pas.»

RadioFr. - Julien Tinner
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