"Être un bon médecin ne signifie pas ne pas être touché"

Comment aborder la question délicate de la mort avec des futurs médecins? Interview d'Alicia Rey médecin-adjointe au Centre de soins palliatifs de l'HFR.

Alicia Rey était l'invitée de la semaine de Radio Fribourg mercredi. © Frapp

Alors que nous célébrerons samedi la Toussaint, il est vrai que la mort est encore souvent tabou dans notre société. Par contre, elle est omniprésente dans la carrière d'un médecin, que ce soit pour annoncer le décès prochain à une personne atteinte d'une maladie incurable ou dire la mauvaise nouvelle à la famille. Il est donc important de l'y préparer. C'est le cas des étudiants et étudiantes du Master en médecine à l'Université de Fribourg qui reçoivent des cours spécifiques pour parler ouvertement de la mort dans leurs pratiques.

Radio Fribourg: Alicia Rey, vous êtes médecin adjointe au Centre de soins palliatifs de l'Hôpital fribourgeois. Vous donnez certains de ces cours et vous êtes aussi l'auteure d'une étude sur ce sujet. Alors, je commence par une vaste question: Quelle est la place de la mort dans la vie d'un médecin?

Alicia Rey: C'est une question qui est effectivement trop peu souvent abordée, que ce soit dans la société en général ou dans le parcours de formation des médecins, mais également dans la réalité en clinique. La mort est omniprésente dans le quotidien de tout médecin, évidemment plus ou moins en fonction de la spécialité, mais il est inévitable, à un moment ou à un autre, d'y être confronté durant la formation. D'où l'importance d'en parler avec les futurs médecins.

L'une des conclusions de votre étude, c'est qu'il n'y a pas assez de place pour la mort dans le cursus universitaire, mais aussi en clinique. Comment l'expliquer?

Probablement que cela s'inscrit déjà dans un tabou sociétal autour de la mort. C'est un sujet dont on parle peu volontiers. Les progrès de la médecine sont réjouissants: nous avons obtenu des victoires face à certaines maladies, mais cela n'a pas changé le fait qu'à un moment ou un autre, chaque être humain est mortel. À mon avis, il fait partie de notre responsabilité de pouvoir aborder ces sujets avec les personnes confrontées à une maladie grave et potentiellement mortelle ainsi qu'avec leurs proches.

Alors comment préparez-vous les étudiants à ce genre de situation?

La première chose est une prise de conscience: si l'on n'est pas informé qu'on sera confronté à la mort – bien plus souvent qu'on l'imagine – on peut difficilement s'y préparer. Les étudiantes et étudiants de l'étude dont vous parlez disaient avoir été pris par surprise par la fréquence et l'intensité des confrontations à la mort durant les premiers stages cliniques. Il faut donc encourager à en parler librement, à exprimer les émotions que cela suscite. Être un bon médecin ne signifie pas ne pas être touché ; il est important d'utiliser ses propres émotions comme levier de la relation thérapeutique. Ces expériences sont extrêmement enrichissantes dans la construction de l'identité médicale.

Un mot-clé, c'est l'empathie. Comment la développer? Comment ne pas tomber dans ces gestes très techniques, froids et distants, du médecin?

Cela fait partie du récit recueilli auprès des étudiants : ils font preuve d'une grande sensibilité. Le savoir-être est extrêmement valorisé durant les études de médecine, notamment au Master de Fribourg. C'est parfois la seule chose qu'ils ont à proposer au début, avant d'acquérir des compétences techniques. Il faut les encourager à cultiver ce savoir-être et à ne pas le laisser s'émousser à mesure que les compétences techniques s'acquièrent.

Est-ce qu'aujourd'hui, dans la pratique, pour certains médecins la mort est encore un aveu d'échec?

Oui, clairement. Et cela doit être extrêmement difficile à vivre si l'on a cette perception. Je préfère voir la mort comme inévitable : elle nous arrivera à tous. Il est donc important d'accompagner les gens du mieux possible face à cette certitude. Être confronté à la mort de l'autre nous renvoie aussi à notre propre mortalité, ce qui peut être source d'angoisse pour les médecins.

Vous travaillez au Centre de soins palliatifs à l'HFR; beaucoup de gens pensent que c'est un "mouroir". Voulez-vous déconstruire cette idée?

C'est effectivement l'un des objectifs des quelques heures de cours que nous donnons : combattre cette idée reçue. Le centre peut être plein de vie. Certes, la mort y est omniprésente ; notre mission est d'accompagner les gens jusqu'à la fin. Mais il y a énormément de moments très joyeux. Vie et mort sont indissociables: sans la vie la mort n'existe pas, mais sans la mort la vie n'existe pas non plus. Nous avons à cœur de promouvoir la vie la plus agréable possible jusqu'à la fin et d'accompagner les proches ensuite.

Vous êtes superviseuse ; certains étudiants viennent en stage chez vous au centre de soins palliatifs. Comment se passe cette relation supervision-étudiant?

Nous commençons par demander à la personne ce qu'elle vient chercher en soins palliatifs. C'est toujours volontaire; il n'y a pas de passage obligatoire. Nous clarifions ses attentes. Le plus souvent ressort une curiosité pour une question trop peu abordée dans le cursus, perçue comme une réalité inévitable et potentiellement source de craintes. Les étudiants veulent apprendre à accompagner les personnes confrontées à la mort, leurs proches, et acquérir des compétences communicationnelles et relationnelles autour de la mortalité.

Ecoutez l'interview:

RadioFr. - Karin Baumgartner
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