Le ski: formidable générateur d'identité nationale suisse
La Suisse est la civilisation du ski. Ce sport a influencé de nombreux aspects de notre société, comme la politique, la mode ou la culture.

Le livre "La civilisation du ski — Une autre histoire de la Suisse" a été publié à la fin du mois d'octobre. Il revient sur l'évolution de ce loisir pas comme les autres et son lien avec l'identité nationale suisse. Il aborde aussi les défis futurs auxquels le ski sera confronté. Interview avec l'un des auteurs, le Fribourgeois Laurent Tissot.
Radio Fribourg: Vous parlez de la Suisse comme une civilisation du ski. Qu'est-ce que ça veut dire?
Laurent Tissot (LT): On voulait montrer que le ski n'est pas un loisir comme un autre en Suisse, que ce n'est pas une futilité. Il a vraiment agi sur tous les pans de la société suisse, que ce soit l'économie, la politique, la culture, le social, les imaginaires. Par exemple, au niveau des vêtements, le ski a beaucoup influencé la mode. Le ski ce sont des loisirs, ce sont les dimanches qu'on passe à skier.
Le ski, pour les écoliers, ce sont des camps de ski. Pendant deux semaines, une semaine, on était embrigadé avec d'autres sur des pistes à la Lenk ou ailleurs. Ça a vraiment marqué la façon dont les Suisses se voyaient et voyaient ce que peut apporter la montagne et la neige à leur vie.
Radio Fribourg: Le ski a contribué à façonner le récit national suisse, mais comment ça s'est passé?
LT: Rapidement, on a pu voir que le ski apportait beaucoup de choses, mais qu'on était aussi en mesure de demander des choses au ski. Durant la guerre, le ski a été un formidable fédérateur d'identité, de croire qu'on était invincible. Et c'est aussi de croire que la montagne est à nous. Donc, c'était une façon aussi de la conquérir et de la domestiquer.
Radio Fribourg: L'imaginaire collectif du ski est nourri par les exploits des grands champions. C'est quelque chose que vous avez pu constater?
LT: Oui, mais ça n'a pas toujours été le cas. À un moment donné, il n'y avait plus du tout de champion. Ensuite, il y a eu l'arrivée notamment des gens comme Russi et Collombin, et après on va jusqu'à aujourd'hui avec Odermatt et Meillard. Ces gens apportent bien sûr, parce qu'on s'identifie à eux. Et il faut voir les masses qui se précipitent à Adelboden ou à Wengen. Ça renforce l'idée que Suisse et montagne, ça ne fait qu'un. Donc, on est maître chez soi, mais on est maître aussi dans les montagnes qui se trouvent ailleurs.
Radio Fribourg: À la fin du livre, vous parlez d'une fin de la civilisation du ski. Entre augmentation des prix des abonnements ou réchauffement climatique, le ski pourrait disparaître en Suisse?
LT: La question se pose. Je suis incapable de le dire, je n'espère pas, mais tous les indicateurs de statistiques d’enneigement montrent qu’il y a un réchauffement, qu’il y a moins de neige et qu’il y aura des répercussions sur le nombre de skieurs. Et peut-être que ces répercussions seront beaucoup plus graves qu’on le prétend.
Radio Fribourg: Et si le ski venait à disparaître ou en tout cas à s’amoindrir en Suisse, il y aurait besoin de quelque chose pour le remplacer?
LT: Oui, je pense qu’il y aura quelque chose qui devrait le remplacer. Mais quoi ? Parce que c’est un phénomène général. On voit les problèmes liés à l’étude des langues du français en Suisse alémanique. On voit là peut-être une rupture ou en tout cas une séparation de nos cultures.
Le ski a assuré pendant très longtemps ce genre d’éléments. On sait que la Suisse, ce n’est pas un mariage d’amour, c’est un mariage de raison. Donc, il faut être conscient que c’est une fragilité et qu’il faut qu’il y ait des éléments fédérateurs qui montrent que nous sommes un peuple, même si on habite Genève, Fribourg ou Appenzell.


