"L'attrait pour les croyances marginales a toujours existé"

Une étude montre que les adeptes des thèses conspirationnistes sont nombreux chez les jeunes. Entretien avec Pascal Wagner-Egger (UniFr.)

Les jeunes s'informent de plus en plus sur les réseaux sociaux. Mais sur ces plateformes, la désinformation est aussi courante. © Pexels
Une part non négligeable de jeunes est adepte des théories conspirationnistes. C'est du moins ce que montre, en France, une récente étude menée par l'institut Ifop (institut d'opinion et de marketing) auprès d'un échantillon représentatif de 2'000 jeunes âgés entre 11 et 24 ans. Par exemple, l’idée selon laquelle on nous ment sur la forme de la Terre est partagée par près d’un jeune sur six (16%).
Entre platisme, astrologie, créationnisme, sorcellerie et vaccinophobie, cette étude montre la sécession d’une partie de la jeunesse avec le consensus scientifique. Entretien avec Pascal Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l'Université de Fribourg et expert en théorie du complot.
RadioFr : L'étude montre, par exemple, que 19% des jeunes âgés de 18 à 24 ans souscrivent à l’idée que les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres. Édifiant, non?
Pascal Wagner-Egger: Les pourcentages sont élevés même s'il y a certainement quelques plaisantins qui ont coché oui sans vraiment y croire. À la fois, c'est un peu préoccupant, avec les réseaux sociaux et internet qui renforcent la tendance. Mais je ne suis pas totalement alarmé, car ces croyances ont toujours existé et ont toujours reçu un écho. Il est, néanmoins, important de garder un œil là-dessus et, par exemple, proposer des cours d'esprit critique aux jeunes, et moins jeunes aussi d'ailleurs, pour évaluer les différentes croyances et voir le niveau de preuve en faveur de chacune d'entre-elles.
Près d'un jeune sur six pense aussi qu'on nous ment sur la forme de la Terre. Comment explique-t-on ces chiffres?
Les jeunes ont toujours été attirés par les croyances marginales. Cela fait partie de l'adolescence avec cette volonté d'explorer les possibles et aussi de se rebeller contre le monde des adultes. Ces croyances permettent d'aller vers l'interdit. Il y a toujours eu des tables qui tournent ou des verres qui tournent sur une table bien avant Internet. Il y a un attrait particulier à l'adolescence qui va peut-être disparaitre par la suite.
Tout de même, n'est-ce pas inquiétant?
Il ne faut effectivement pas banaliser la chose. L'important, c'est ce travail sur l'esprit critique et comprendre la façon de fonctionner de notre cerveau. Il y a aussi la méthode journalistique qui doit être davantage mise en avant. On doit expliquer comment on vérifie une information avec le croisement des sources indépendantes. Il faut, en somme, aider les jeunes lorsqu'ils se rendent sur internet.
Vous parlez de cours pour renforcer l'esprit critique: comment cela se présente?
J'en ai donné un récemment au collège de Gambach. Je présente les biais cognitifs, à savoir des façons de raisonner rapides de notre cerveau qui expliquent qu'on a tendance à croire facilement certaines choses. On expose cela à des gens qui peuvent eux-mêmes donner des exemples. Par exemple, la moitié de la salle affirmait mal dormir durant la pleine lune. On explique très bien en psychologie pourquoi on est focalisés sur les coïncidences. On a une insomnie et la lune est pleine, mais c'est une erreur de raisonnement parce qu'on est beaucoup moins frappé quand on a une insomnie mais qu'il n'y a pas de pleine lune ou qu'on dort bien pendant une pleine lune. Notre cerveau est frappé par les coïncidences et crée des croyances beaucoup trop facilement. Le fait d'en parler, donner des exemples en public et de réfléchir tous ensemble invite les gens à réfléchir à leur propre croyance.

RadioFr. - Mehdi Piccand
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