Une méthode révolutionnaire pour mesurer le permafrost

Des scientifiques fribourgeois ont développé une nouvelle technique qui pourrait permettre de mieux prévoir les glissements de terrain.

La fonte de la glace souterraine peut déstabiliser les versants des montagnes, altérer le paysage et mettre en danger les personnes et les infrastructures. © KEYSTONE/ANTHONY ANEX

La méthode classique pour mesurer le permafrost consiste à percer des trous pouvant atteindre une centaine de mètres de profondeur et d’y mesurer la température du sol. C’est toutefois compliqué et coûteux, a indiqué mardi le Fonds national suisse (FNS).

"De plus, on ne saisit ainsi que des températures ponctuelles et on ne peut rien déduire sur le volume de glace", ajoute Christian Hauck, de l’Université de Fribourg. Avec son équipe, il a contribué ces dernières années à développer une méthode non-invasive pour mesurer le permafrost sur des surfaces conséquentes et évaluer la quantité de glace. Cette technique permet de faire des prévisions sur les évolutions à venir.

Les scientifiques font passer dans le sol un courant continu entre deux électrodes et mesurent la résistivité électrique entre de nombreuses autres électrodes également disposées dans le sous-sol. La glace conduit moins bien l’électricité que l’eau liquide et exerce donc une plus grande résistivité. Et celle-ci est encore plus élevée lorsqu’il n’y a pas du tout d’eau dans le sol.

Image tridimensionnelle

Les mesures indiquent ainsi s’il y a de l’eau, en quelle quantité et sous quelle forme, liquide ou gelée. "Nous réalisons jusqu’à plus de mille mesures individuelles afin d’obtenir une image tridimensionnelle", explique Christian Hauck, cité dans le communiqué.

Pour cela, les scientifiques disposent à chaque fois près d’une cinquantaine d’électrodes sur une zone d’un demi-hectare environ. Plus les électrodes sont éloignées les unes des autres, plus le courant pénètre dans des couches profondes.

Le modèle de calcul ne cesse d’être affiné, notamment en comparant avec des données obtenues par d’autres méthodes. Depuis deux décennies, le réseau suisse d’observation du permafrost Permos mesure les températures de surface et dans des trous de forage en de nombreux endroits des Alpes.

Perte de 15% du permafrost

Dans une étude publiée récemment, la doctorante Sarah Morard a examiné toutes les données disponibles sur le pergélisol sur le versant du Stockhorn situé au-dessus de Zermatt (VS). Dans les forages, les températures ont augmenté d’approximativement un degré au cours des vingt dernières années et le point de congélation se situe maintenant plusieurs mètres plus bas dans le sous-sol.

Les mesures de résistivité ont permis pour la première fois de quantifier les pertes de permafrost: entre 2015 et 2022, environ 15% de la glace a disparu.

Dans une autre étude, Christian Hauck et sa collègue Christin Hilbich ont analysé des données provenant de mesures de résistivité dans l’ensemble de l’Europe, démontrant ainsi qu’un seul été caniculaire - comme en 2003, 2015 et 2022 - peut conduire à une perte irrémédiable de pergélisol en montagne. Même s’il est suivi par un hiver froid, cela ne suffit pas à compenser la perte.

"Il faut vraiment des conditions très particulières pour que le permafrost puisse se reconstituer", dit Christian Hauck. Il faut par exemple qu’il pleuve précisément à un moment où il fait très froid pour que de la glace puisse se former avant que l’eau ne s’écoule dans la vallée. Les données de résistivité permettent désormais d’identifier de tels processus passés et également de faire des prévisions pour l’avenir.

Points de basculement

Le chercheur estime qu’en de nombreux endroits, le pergélisol alpin a déjà atteint le point de basculement ou est en passe de le faire. Ce qui signifie qu’à partir de ce point la disparition du permafrost s’accélère d’elle-même et ne peut plus être arrêtée sans changement significatif du climat.

Suivant les conditions géologiques, cela pourrait donc entraîner davantage de chutes de pierres ou de glissements de terrain. C’est pourquoi il est d’autant plus important d’établir des méthodes pour prédire le plus tôt possible et de manière fiable ces points de basculement, relève Christian Hauck. Les deux études sont publiées dans la revue Environmental Research Letters.

ATS
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