Plongée dans la jungle des cabinets médicaux

En concurrence les unes contre les autres, les communes fribourgeoises n'hésitent pas à mettre le paquet pour attirer des médecins de famille.

Début septembre, Mylène Racine et Khrystyna Schmid ont lancé leur cabinet médical à St-Aubin. © RadioFr.

C'est une denrée rare dans le canton de Fribourg. Avec 0,61 médecin de premier recours pour 1000 habitants, Fribourg est le canton le plus mal loti de Suisse romande et un des pires au niveau Suisse. 

Pour attirer les généralistes, les communes mettent le paquet. Elles n'hésitent pas à sortir le porte-monnaie pour les attirer et remplacer toute une génération de médecins qui partent à la retraite. 

Un prêt de 100'000 francs

Dans la Broye, la commune de St-Aubin a remporté une bataille il y a quelques mois. Elle a su se montrer la plus persuasive pour attirer un cabinet médical: le cabinet de la Petite Glâne qui a ouvert début septembre sur le site d'Agrico. 

Pour attirer ce nouveau centre médical, la commune broyarde a accordé aux deux médecins, Khrystyna Schmid et Mylène Racine, un prêt de 100'000 francs. La COREB, la communauté régionale de la Broye a fait pareil. 

Un geste qui a pesé en faveur de St-Aubin quand il a fallu choisir la commune où s'installer. "C'est souvent le problème pour se lancer. Les équipements et tout le matériel pour ouvrir un cabinet coûtent très cher", explique Khrystyna Schmid. 

Cette façon d'opérer n'est pas sans rappeler ce qu'ont fait les communes d'Hauterive et du Gibloux. En 2022, Hauterive a voté un investissement de 300'000 francs pour équiper un nouveau cabinet médical qui a ouvert en début d'année. En 2024, la commue de Gibloux a, elle, accepté un prêt sans intérêt de 400'000 francs pour un centre médical. 

Pour le syndic de St-Aubin, Michael Williman, la santé est un domaine "exceptionnel" qui demande "un engagement exceptionnel". Mais il avoue que le sujet est un peu délicat: "D’autres commerces pourraient demander un soutien financier, mais trouver un médecin est dans l’intérêt général plus que de voir un autre commerce s’implanter."

Un parcours du combattant

Trouver une commune où s'implanter a été un long processus pour Mylène Racine et Khrystyna Schmid. Les deux médecins cherchent un lieu pour se mettre à leur compte depuis 2021. Après des années de recherches vaines, elles décident, en 2024, d'écrire à toutes les communes de la Broye vaudoise et fribourgeoise pour leur présenter leur projet. 

Une petite dizaine de communes se montrent intéressées. Puis le choix se restreint entre Cudrefin, Belmont-Broye, Vully et St-Aubin. De ce casting, St-Aubin ressort gagnante. Les locaux, le soutien financier, l'engagement du conseil communal, tout concorde.

Une décision qui a forcément déçu du côté de Cudrefin, même si le syndic Richard Emmenegger relativise: "Il y a d'autres médecins pas très loin."

Une lacune dans le système

Pour Mylène Racine, il y a une lacune dans le système: "C'est compliqué de faire ce lien entre le politique et les médecins.  Il manque une interface entre les médecins qui cherchent à s'installer et les collectivités publiques." 

Les communes aussi galèrent pour faire connaître leur besoin. Comment faire savoir qu'on cherche des médecins? C'est la question que se pose Grolley. 

Deux pédiatres se sont installés dans les bâtiments de la paroisse au centre du village en 2024. Mais cette installation est provisoire. Le cabinet va déménager à Courtion d'ici deux à trois ans dans de nouveaux bâtiments. "Maintenant nous cherchons un médecin généraliste pour remplacer les pédiatres", explique Damien Aebischer, conseiller de paroisse à Grolley.

Lui aussi se dit prêt à consentir à des efforts importants pour attirer des médecins, comme offrir entre trois et six mois de loyer. 

Maintenant qu'elles sont installées, Mylène Racine et Khrystyna Schmid se retrouvent, à leur tour, dans la situation des communes: "Nous voulons nous agrandir, on cherche d'autres généralistes et un pédiatre, mais c'est compliqué. On essaie par le bouche-à-oreille, mais c'est compliqué."

Une amélioration en vue? 

Que fait l'État pour faciliter ce lien entre communes et médecins? Questionnée sur le sujet, la direction de la santé et des affaires sociales nous a répondu par l'intermédiaire de sa porte-parole, Claudia Lauper: "Le Canton de Fribourg participe au financement de FOROM pour favoriser l'installation des médecins de famille dans la Broye fribourgeoise. D’autres projets sont en place, notamment, un cursus fribourgeois de médecin de famille. L'État finance aussi  80% des salaires des médecins assistants lorsqu'ils suivent un stage en cabinet." 

Les choses pourraient évoluer dans le bon sens dès 2026 pour Pierre-Yves Rodondi, directeur de l'Institut de médecine de famille à l'Université de Fribourg. "Suite à une décision du Grand Conseil, nous allons mettre en place différentes mesures pour mettre en lien les différents acteurs et favoriser les installations dans le canton de Fribourg. Les contacts sur le terrain seront les meilleurs moyens de favoriser des installations dans tout le canton."

Le médecin esquisse aussi d'autres pistes à explorer comme revoir la valeur du point tarifaire. Elle est actuellement plus basse dans le canton de Fribourg que dans celui de Vaud.

Et pourquoi ne pas informer les étudiants en médecine dès l'Université? Pierre-Yves Rodondi n'est pas convaincu: "Il est trop tôt d’informer les étudiants sur les démarches pour ouvrir un cabinet, car ce serait au moins sept ans avant leur installation. Cette information a lieu durant la formation postgraduée, et sera renforcée."

RadioFr. - Vincent Dousse
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