Que reste-t-il du droit international humanitaire?

Directeur général du CICR jusqu’en 2002, Paul Grossrieder a accepté de poser son regard sur la situation à Gaza. Interview.

Directeur général du CICR jusqu’en 2002, Paul Grossrieder a consacré une grande partie de sa carrière à défendre le droit international humanitaire sur les terrains les plus sensibles du globe. Délégué en Israël et en Palestine pendant la première Intifada, il a accepté de poser son regard sur la situation à Gaza à la lumière de son expérience.

La Télé: Est-ce que des actions citoyennes peuvent influencer la position de la Suisse ?

Paul Grossrieder: Oui, je crois que cela fait partie de l’opinion publique, et de la mobilisation de cette même opinion, qui, en s’accumulant avec d’autres engagements pour cette cause, finit par faire bouger nos autorités. 

De votre point de vue, nos autorités ne bougent pas assez. On a entendu mardi Ignazio Cassis prendre finalement position, une position qui a été mise à mal, où on lui a reproché de reprendre le narratif d’Israël. Quel est votre sentiment ?

Oui, c’est vrai, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’Ignazio Cassis était président de l’Association Suisse-Israël avant de prendre ses fonctions. Ceci dit, je crois qu’il faut faire attention à ne pas se focaliser exclusivement sur Ignazio Cassis. C’est le Conseil fédéral, finalement, qui devrait prendre position de manière plus claire, de manière en conformité avec la réalité du terrain. C’est cela qui manque, de la part de nos autorités. 

À Gaza, des enfants sont tués, des hôpitaux bombardés, des civils pris au piège. Peut-on encore parler de droit ?

Le droit humanitaire n’empêche pas, n’est pas fait pour empêcher les guerres. Il a un côté réaliste qui fait que son objectif est plutôt de chercher à « humaniser » les guerres ou d’en limiter les violences extrêmes ou la sauvagerie. Je crois qu’il ne faut jamais oublier que c’est ça, l’objectif du droit humanitaire.

Pendant une guerre, il y a malheureusement toujours des violences. Mais il s’agirait d’essayer de faire que, par exemple, les civils restent protégés, que les hôpitaux ne soient pas systématiquement attaqués, et que les populations ne soient pas non plus déportées ou déplacées de force. Ça, c’est le droit. 

Aujourd’hui, Israël invoque son droit à se défendre – ce qui est vrai, notamment après les attaques du 7 octobre. Mais ensuite, il faut interroger la manière dont cette défense s’exerce. Le droit n’autorise pas des réactions excessives. 

Prenons un exemple : un hôpital pourrait effectivement servir de bouclier humain. Il est possible qu’il y ait, dans ses sous-sols, des combattants ou des armes. C’est vraisemblable. Mais est-ce que cela justifie qu’on bombarde l’hôpital ? Qu’on tue les enfants à l’intérieur ? Qu’on empêche les médecins de travailler ? Non. Ce serait une manière excessive et disproportionnée d’intervenir. Et c’est là qu’il y a violation du droit humanitaire. 

Vous avez été délégué du CICR en Israël et en Palestine entre 1986 et 1988, en pleine première Intifada.  À l’époque, vous me disiez que le dialogue était possible. Est-ce que vous avez l’impression que la situation a changé ? 

Oui. Je dirais que tout n’était pas facile déjà à l’époque, notamment si l’on pense aux détenus palestiniens, si l’on pense aux civils. J’ai vécu le début de la première Intifada et la position de l’armée face aux civils palestiniens, avec parfois des moyens aussi exagérés de réagir aux manifestations des jeunes Palestiniens de l’époque. 

Mais malgré tout, le dialogue était encore envisageable. Personnellement, j’ai eu plusieurs contacts avec Yitzhak Rabin, alors Premier ministre. C’était un homme dur, un militaire, mais qui acceptait de parler de l’humanité des Palestiniens, de leur situation en tant que peuple occupé par Israël. Lui-même était convaincu que, de manière rationnelle, c’était une aberration que d’occuper ces territoires. 

Vous parlez d’humanité. Aujourd’hui, a-t-on perdu cette notion? 

Moi, je crois qu’on a atteint des limites, des profondeurs d’inhumanité absolument incroyables. Vous prenez, par exemple, ces distributions, à deux ou trois reprises, durant les distributions (qui sont contrôlées par les Israéliens) : ces distributions deviennent des champs de violence inimaginables. Et là, on est vraiment en plein dans l’inhumanité. 

Aujourd’hui, à 81 ans, vous signez encore de votre plume des chroniques pour La Liberté et La Gruyère. Vous vous faites le porte-parole des oubliés. C’est important pour vous ? 

Oui, je me suis donné à moi-même cette mission d’écrire sur ce dont on parle peu. Parfois je signe des articles plus classiques. Mais le plus souvent, je m’exprime sur les causes peu connues. Le peuple sahraoui, par exemple. Peu savent aujourd’hui qui ils sont

La Télé - Camille Tissot / Adaptation web: Marie de Saint Périer
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