"On garde pour nous ce qu'on aimerait partager"

Les trois premiers mois de grossesse sont synonymes de discrétion et d'angoisse. Un tabou qui entoure aussi les fausses couches. Notre dossier.

Les trois premiers mois de grossesse, moment de joie et d'angoisse. © KEYSTONE

Trois mois, c'est court mais ça peut paraître très long ! Surtout quand on attend un enfant mais qu'on doit patienter jusqu'à la fin du premier trimestre pour annoncer sa grossesse.

Parce qu'on le sait, consciemment ou non, les trois premiers mois sont une période délicate. Environ un quart des grossesses s'arrête pour diverses raisons, connues ou inconnues. Et dans la très grande majorité des cas, ces interruptions se produisent au cours du premier trimestre. De quoi rendre les femmes très prudentes et très discrètes.

Un véritable accouchement

Géraldine est maman de deux petits garçons. Après son premier fils, puis après le second, elle a fait en tout trois fausses couches. La dernière a été la plus traumatisante. A 12 semaines de grossesse, elle l'a vécue comme un véritable accouchement, à la maison. Les contractions de plus en plus rapprochées, l'expulsion et ce petit embryon qu'elle a découvert déjà bien formé. Une épreuve impressionnante dont elle s'est ouverte à sa voisine. Qui lui a à son tour révélé avoir vécu plusieurs fausses couches.

Ce silence autour des premières semaines de la grossesse, de sa fin parfois précoce, pèse très lourd sur les futures mères. Selon Aurélia Schaub, infirmière spécialisée en santé sexuelle, c'est un peu comme si les femmes n'étaient pas enceintes. D'ailleurs les assurances maladie ne prennent en charge les grossesses que depuis la fin du premier trimestre. On pourrait croire que la grossesse ne dure que 6 mois! "C'est perturbant", souligne encore la jeune femme.

Un grand bouleversement

D'autant plus perturbant que les femmes, elles, perçoivent beaucoup de changements dans leurs corps dès le début de leur grossesse. Des changements liés aux hormones, explique Anis Féki, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'Hôpital fribourgeois. Elles ressentent des tensions dans les seins, des nausées, des douleurs ligamentaires et de la fatigue, pour ne citer que ces symptômes.

Sur le plan psychique, elles vivent aussi un grand bouleversement et "une situation paradoxale", constate Marie Gelsomini Béguin, psychologue et psychothérapeute dans le même service. Elles ont à la fois beaucoup d'espoir et de rêves,  et en même temps, elles doivent être vigilantes. Elles gardent donc pour elles ce qu'elles aimeraient peut-être partager.

Pas seulement à cause de l'incertitude sur l'évolution de la grossesse. Mais notamment aussi parce qu'elles craignent qu'on les regarde différemment, comme des petites choses fragiles alors qu'elles se sentent bien, voire même débordent d'énergie. Sur le plan professionnel aussi, pas question de se montrer moins performante. "On ne veut pas embêter les autres avec ses problèmes", relève encore la psychologue, quitte à taire et ignorer de vrais soucis de santé qui pourraient avoir de lourdes conséquences.

Les petites phrases assassines

Un silence plus pesant encore quand survient une fausse couche. Un terme que Sandrine Limat Nobile, psychologue à l'association Agapa Suisse romande, trouve d'ailleurs inadéquat. Elle préfère par exemple celui d'arrêt prématuré de grossesse. "Il n'y a rien de faux, souligne-t-elle, il y a eu une grossesse qui a débuté et s'est arrêté pour diverses raisons." Les mots sont importants et la parole aussi.

Si Aurélia Schaub a tout de même le sentiment qu'on évoque plus ouvertement le début de grossesse et les fausses couches depuis quelques temps, pour Marie Gelsomini "le droit d'en parler n'est pas si évident que ça." L'entourage et notamment les générations de femmes qui ont souffert de ce silence peuvent se montrer à leur tour très dures. Avec des petites phrases assassines du genre "T'as qu'à recommencer!" Ou la fameuse expression "la nature est bien faite" que Géraldine ne peut plus supporter. "On le sait que la nature est bien faite, s'exclame la trentenaire. Mais elle fait chier la nature, on a juste envie de répondre ça!"

Les pères aussi

Alors même si ce n'est pas toujours facile, parler est pourtant bénéfique. Et pas seulement pour les femmes, également pour les hommes. Ils voient leur compagne souffrir et souffrent aussi à leur manière. Eux aussi s'imaginaient père et doivent y renoncer, en tout cas provisoirement.

Une période compliquée que chacun vit à sa façon et à son rythme. Mais il est important de maintenir le dialogue entre les deux partenaires. L'AGAPA propose justement des séances avec un médiateur pour maintenir cette communication, pour que chacun puisse exprimer ce qu'il ressent. Une manière de plus de briser le tabou qui entoure encore début de grossesse et fausses couches.

RadioFr. - Sarah Camporini
...