"Comme ça, l'école inclusive ne fonctionne pas"

Les enseignants fribourgeois réclament davantage de moyens pour intégrer les élèves à besoins particuliers.

Dans le canton de Fribourg, un peu plus de 900 élèves bénéficient d'une mesure d'aide renforcée pour être scolarisés en cursus ordinaire. © Keystone

Depuis lundi passé, tous les élèves fribourgeois ont repris le chemin de l'école. Tous sans exception, ou presque, car l'école inclusive est au cœur du dispositif éducatif de tous les cantons en Suisse depuis au moins une dizaine d'années.

Dans les faits, l’idée est d'inclure tous les enfants en cursus ordinaire quel que soit leur difficulté, leur besoin ou leur handicap. Le projet est louable et ambitieux mais en pratique l’idéal de l’école inclusive n’est pas encore atteint.

Sur le terrain, les manquements inquiètent autant les enseignants que les parents. "Il y a de plus en plus de situations compliquées avec des enfants en difficultés qui sont toujours plus nombreux, et qui sont présents dans tous les degrés de l'école obligatoire, note Claire Spring, la co-présidente de la société pédagogique fribourgeoise francophone. Comme ça, l'école inclusive ne fonctionne pas. Il nous faut des bras supplémentaires."

Environnement scolaire pas adapté

La Fédération des associations de parents d’élèves du canton de Fribourg, tout comme l'association Autisme Fribourg, sont aussi d'avis qu'il faudrait mettre davantage de moyens pour l'école inclusive. "Mon fils rentre en étant très frustré de ses journées. Là, il est dans une période plus compliquée où il nous répète que cette société n'est pas faite pour lui et qu'il veut aller vivre dans la forêt, ce qui fait mal à entendre en tant que parent, souffle ce papa fribourgeois, qui souhaite rester anonyme, et dont le fils de 9 ans souffre d'un trouble du spectre autistique sans déficience intellectuelle. La manière, dont on lui explique les choses, ne correspond pas à son fonctionnement. Le soutien et le suivi sont insuffisants", regrette-t-il sans jeter la pierre aux enseignants.

Plusieurs parents concernés dénoncent unanimement un environnement qui n'est pas suffisamment adapté à leur enfant. Dans le canton de Fribourg, les élèves au bénéfice d’une mesure d'aide renforcée sont en constante augmentation (+54% depuis 2015). "Dans le même temps, plus de 100 équivalents-plein temps (EPT), notamment des enseignants spécialisés, ont été accordés pour permettre cette inclusion. Les moyens accordés sont donc assez importants. Je ne sais pas si un service dans l'Etat de Fribourg a déjà pu bénéficier d'une telle augmentation", affirme Sylvie Bonvin-Sansonnens, conseillère d'Etat en charge de la formation professionnelle et des affaires culturelles (DFAC), qui rappelle encore qu'un enfant au bénéfice d'une mesure d'aide renforcée compte pour trois élèves en classe.

"Je me pose beaucoup questions"

Radio Fribourg a pu récolter le témoignage de plusieurs enseignants - qui ont souhaité rester anonymes - qui se disent de plus en plus dépassés par les événements. "Dans ma classe, il me faudrait, au moins, deux fois plus d'unités avec la présence d'un enseignant spécialisé", calcule une enseignante de 5 H.

Certains envisagent même de quitter le métier. C'est le cas de cette enseignante fribourgeoise en 1-2 H. "Je ne sais plus mon rôle aujourd'hui. Je me pose beaucoup de questions, souffle-t-elle. Quand on demande de l'aide, on nous répond souvent qu'il n'y a plus de budget pour le faire. Je suis en début de cursus scolaire. C'est là que les élèves avec des problèmes sont diagnostiqués mais le temps que les bilans soient faits et que les parents aient donné leur accord, on se retrouve souvent avec l'enfant durant deux ans sur les bras. Tout ça prend des proportions énormes. On aurait besoin d'être à deux enseignants ou d'avoir une plus petite classe." 

Les enseignants dénoncent aussi des listes d'attente de plusieurs mois, voire années, pour accéder au service de logopédie, psychologie et psychomotricité (SLPP).

Résultat, dans les classes concernées, l’ambiance et la qualité de l’enseignement en prennent un coup, selon Raphaëlle Giossi, co-présidente de la société pédagogique fribourgeoise francophone. "On a beaucoup de retours de parents ou d'enseignants qui nous disent que dès qu'un élève à besoins particuliers n'est pas là, toute l'ambiance change. Les élèves qui subissent le comportement spécifique d'un élève ont en juste marre et aimeraient que l'attention de leur professeur soit aussi dirigée vers eux."

Des pistes d'améliorations

Dans une récente réponse à un député, le Conseil d'Etat fribourgeois affirmait que l'inclusion d'élèves à besoins spécifiques ne semble pas coïncider avec une baisse de la qualité de l'enseignement. "Les particularités de ces quelques 920 élèves (sur un total de 40'700 élèves en école obligatoire) n'ont pas l'air d'impacter de manière conséquente les résultats PISA, qui confirment les bonnes compétences acquises par les élèves fribourgeois."

Néanmoins, le canton de Fribourg est conscient que l'école inclusive reste un défi de taille et qu'il peut exister des frustrations. "On essaie de trouver la meilleure solution, mais parfois c'est très compliqué car l'enfant évolue et l'école doit se réadapter quotidiennement. Ainsi, parfois, même avec tous les outils et mesures possibles, on est démunis quand même", explique Stéphane Noël, le chef du service de l'enseignement spécialisé, qui tient aussi à rappeler qu'il existe de vrais exemples de réussites en terme d'inclusion à l'école.

Les autorités admettent, toutefois, avoir encore une certaine marge de manoeuvre. "Nous pouvons améliorer la coordination des mesures d'aide proposées sur le terrain pour répondre de façon plus efficiente. Nous devons aussi travailler à détecter plus rapidement les élèves à besoins particuliers avant leur entrée à l’école", affirme Sylvie Bonvin-Sansonnens. La ministre verte précise encore que même si la volonté est d'intégrer tous les élèves, il n'y pas de limite quant aux places dans les institutions spécialisées. Aujourd'hui, sur les quelques 41'000 élèves fribourgeois, 943 sont scolarisés dans ces structures, soit 2,28%.

RadioFr. - Mehdi Piccand
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