Un médecin fribourgeois sous enquête

La justice se penche sur les frasques d'un praticien moratois ouvertement coronasceptique. Sa faîtière tente de l'exclure.

Dans le canton de Fribourg comme ailleurs, des médecins s'écartent des mesures officielles de lutte contre le Covid. © KEYSTONE

Alors que la campagne de vaccination se poursuit sur fond d'une hausse des infections et des hospitalisations dues au Covid, des médecins opposés au vaccin contre la maladie, voire relayant les thèses complotistes, nagent à contre-courant des recommandations officielles. Certains affichent volontiers leur scepticisme face à leurs patients et au sein de la communauté scientifique, mais également devant les décideurs politiques et sur internet.

A Morat, le cabinet du Dr. Christian Zürcher n'aurait pas imposé le port du masque à l’intérieur, pourtant obligatoire. Ce généraliste a aussi activement découragé ses patients, actuels et anciens selon nos informations, de se faire vacciner. Dans une lettre qui leur a été envoyée au début de l'été, et portée à notre connaissance, il remet notamment en question la fiabilité des tests PCR et la sécurité des vaccins sous la forme de questions "à prendre en compte avant de faire de bons choix en matière de vaccinations". Les termes vaccinés, vaccinations et covidés y apparaissent d'ailleurs systématiquement entre guillemets.

En conclusion de son courrier, ce membre de Médecins Fribourg –Ärztinnen und Ärzte Freiburg (MFÄF) renvoie le lecteur vers le site internet bilingue de son association, où on peut notamment lire, via des liens, "Corona 2020-c'est de la fantaisie", ou encore, dans une lettre ouverte aux parlementaires fédéraux, "Le nouveau coronavirus est un virus de refroidissement, moins dangereux que le virus de la grippe ordinaire." A titre préventif, il prescrit notamment "8h de sommeil, la bonne humeur et la vitamine D" pour une meilleure défense immunitaire. Mais le cas va plus loin.

Réseau de dissidents

Le praticien se range là derrière les théories relayées par Aletheia, une association fondée par plusieurs médecins pendant la pandémie. Première fausse information: le site présente les vaccins à ARN messager comme des "substances génétiques" (alors que cette technologie ne peut pas s'intégrer au génome humain, indique l'OFSP) plus dangereuses que le Covid lui-même.

La plateforme invite également à placarder des affiches contre la campagne de vaccination, en particulier près des lieux fréquentés par les enfants. Parmi ses sources, Aletheia cite entre autres Rubikon news, un portail d'informations proche des théories conspirationnistes, ou encore Wolfgang Wodarg, un médecin allemand à l'origine de la rumeur selon laquelle le vaccin impacterait négativement la fertilité (voir notre série de questions-réponses avec le Dr. Christian Chuard).

Dénoncé par les autorités

Christian Zürcher, médiatisé à plusieurs reprises, est aujourd'hui dans le viseur des autorités fribourgeoises. Le Ministère public a ouvert une enquête pénale à la suite d'une dénonciation du médecin cantonal. La procureure générale adjointe n'a pas donné davantage de détails à ce stade précoce de l'instruction. Parallèlement, MFÄF, branche cantonale de la Fédération des médecins suisses (FMH), a lancé une procédure d'exclusion de l'organisation, invoquant la violation de codes déontologiques de la profession.

Joint par téléphone, le Dr. Zürcher ne souhaite pas encore commenter les affaires en cours. Il assume néanmoins son discours divergent. "La santé du patient est au cœur de mon éthique", assure-t-il. Il dit regretter "des pressions exercées par les autorités sanitaires avec de graves conséquences sociales et économiques" et s'étonne d'effets secondaires du vaccin non déclarés, comme un supposé magnétisme du corps. Du délire? Pas pour lui.

"Le médecin ne peut plus parler. Il n’y a plus de discussion scientifique libre aujourd’hui concernant le corona, que des ordonnances." Opposé aux sérums anti-Covid, il est en revanche plus enthousiaste lorsqu'il s'agit d'aborder l'ivermectine, un médicament antiparasitaire, et le dioxyde de chlore, un dérivé de l'eau de Javel, deux produits faussement présentés par certaines personnalités et sur les réseaux sociaux comme remèdes au virus. Le dernier a d'ailleurs fait l'objet d'une mise en garde de Swissmedic en raison de sa dangerosité.

Rappels à l'ordre

Si un professionnel de la santé peut donner son avis sur la question du vaccin, les autorités sanitaires exigent qu'il respecte les données scientifiquement établies, en particulier dans un contexte de crise sanitaire qui se prolonge. "Un médecin a le droit d’avoir ses opinions personnelles, assure le médecin cantonal Thomas Plattner, mais il a des devoirs déontologiques. Même en cas d'opposition au vaccin, il doit informer le patient de manière neutre et équilibrée pour permettre un choix éclairé."

Dans le canton de Fribourg, le nombre de ses homologues signalés pour leur manque de diligence se compterait sur les doigts d’une main. Ils ont été rappelés à l’ordre. Ailleurs en Suisse, d'autres dissidents ont été épinglés pour des comportements répréhensibles, menant dans les cas les plus graves au retrait du droit de pratiquer, selon la FMH.

Frapp - Alexia Nichele
...