"Dessiner le mouvement, ce n'est pas facile"
De Genève à Thoune, la Fribourgeoise Madame Marilou a créé huit affiches pour l'Euro féminin 2025. Elle raconte ce défi artistique.
Frapp: Après une première collaboration dans le cadre de l'Euro féminin en 2022, l'UEFA vous a fait confiance une nouvelle fois, cette fois pour illustrer le tournoi qui se déroulera en Suisse cet été. Comment cette collaboration s'est-elle mise en place?
Madame Marilou: C'est moi qui ai pris contact avec l'UEFA cet automne, quand j'ai su que l'Euro féminin allait avoir lieu en Suisse cette année. Comme on avait déjà collaboré en 2022, je leur ai proposé soit de réutiliser le poster que j'avais créé ou de faire une nouvelle collaboration autour de l'Euro. Ils ont pour habitude, chaque année, d'organiser une exposition autour des grands tournois en mandatant un artiste international. Du coup, on a décidé de renouveler ça. Cette fois, ils m'ont confié toute l'expo avec huit œuvres inédites. J'ai été la première artiste à collaborer deux fois avec l'UEFA et aussi la première artiste suisse à être mandatée pour une expo comme celle-ci.
Qu'est-ce que cette collaboration représente pour vous en tant qu'artiste indépendante?
Je crois que principalement, ça m'a surtout amenée à un sentiment de considération et de légitimité. C'est parfois difficile pour moi, vu que je viens du monde du graphisme, de faire la part des choses entre les mandats qui sont plutôt de l'ordre de commandes graphiques - vraiment au service d'un client pour transmettre un message et des valeurs d'entreprise, où je dois faire beaucoup de compromis - et une commande comme celle-ci, qui était vraiment plutôt d'ordre artistique, où on m'encourage à y mettre mon point de vue, mon message, et à libérer un petit peu ma parole autour d'un thème. Ils m'ont vraiment bien accompagnée et c'était très agréable en ce sens.
Qu'est-ce que vous avez voulu mettre en avant globalement sur ces affiches?
Il y avait un thème qui a été imposé: représenter les huit villes hôtes du tournoi de l'Euro féminin, Bâle, Berne, Genève, Lucerne, Saint-Gall, Sion, Thoune et Zurich. En plus de ça, l'idée, c'était pour moi d'y intégrer les joueuses étant les actrices principales de la compétition, pour amener un côté humain, vraiment montrer ces femmes qui débarquent en ville et qui prennent possession de la ville avec toutes leurs puissances et leurs dynamismes. J'ai aussi intégré des éléments de foot - des tribunes, terrains, ballons - pour y mettre du contexte et donner du sens aux posters, raconter une histoire.
Avez-vous reçu des consignes particulières de l'UEFA?
Ce qui a été par le plus délicat, ça a été le choix des couleurs. Il fallait que chaque poster puisse fonctionner individuellement pour que chaque ville hôte puisse se l'approprier, mais aussi en tant que série. Comme j'ai l'habitude d'utiliser des gammes couleurs assez réduites, ça a été compliqué de trouver des couleurs qui puissent fonctionner dans un ensemble mais aussi individuellement. D'autant plus que la contrainte ultime était qu'il ne fallait pas que les couleurs soient les mêmes que celles des drapeaux de compétition. Finalement, je me suis inspirée des écussons des différentes villes pour choisir les couleurs tout en gardant une gamme de base de couleurs primaires.
Pouvez-vous décrypter une ou deux affiches que vous appréciez particulièrement?
Mon petit coup de cœur de la série, c'est l'affiche de Saint-Gall. J'ai choisi d'illustrer cette bibliothèque, cette abbaye, qui est un bâtiment magnifique que je ne connaissais pas d'ailleurs avant l'exposition. Il est très grand, très imposant, mais aussi plein de détails, de richesses, de délicatesse et un peu à l'image du foot féminin, je trouve. Il y a l'abbaye en fond et deux joueuses qui s'y détachent. C'est peut-être la plus statique de la série, mais elle a vraiment une force et un ancrage que j'aime beaucoup. Il y a aussi celle de Thoune que j'aime bien, qui est plus une composition avec le château, le lac, les joueuses, des éléments de foot. La composition est équilibrée et elle dégage beaucoup de légèreté et de joie.
En termes de méthode, êtes-vous allée dans ces villes pour vous en inspirer ? Et au niveau technique, comment avez-vous procédé?
Je n'ai pas eu le temps d'aller dans les huit villes, même si j'aurais adoré me faire des petites balades touristiques pendant un mois! Les délais étaient beaucoup trop courts. J'ai surtout regardé des photos, fait un petit débrief de tous les éléments emblématiques de chaque ville. Puis j'ai choisi librement les éléments à représenter, selon la vibe que je ressentais de la ville et mon interprétation. Au niveau technique, je fonctionne toujours de la même manière: d'abord des recherches photos avec plein de photos de référence, ensuite des croquis sur tablette graphique que je soumets au client. Une fois les croquis validés, je passe à la mise en couleur. Tout est numérique et je travaille principalement sur Procreate et Illustrator.
Le football féminin ou le sport en général, est-ce un thème facile à dessiner?
Non, je ne dirais pas que c'est un thème facile, en tout cas pas pour moi. Qui dit sport dit beaucoup de dynamique, de mouvement. Et dessiner le mouvement, ce n'est pas quelque chose de simple. J'ai un style très vectoriel, donc plutôt graphique, numérique, géométrique. Transformer ça en mouvement en mettant différents axes, des diagonales, des cassures, du contraste dans les couleurs, c'était plutôt un challenge. Mais j'adore qu'on me pousse hors de ma zone de confort ! L'autre difficulté était que j'ai plein d'éléments du vocabulaire visuel du foot que je ne connais pas. Les lignes de terrain, les dessous de crampons qui ont une forme très typique, certaines positions des joueuses... J'ai dû apprendre et réajuster. Mais ça me permet aussi de mettre ma patte et ma vision dans l'imagerie du foot, qui parfois est peut-être un peu directe, un peu clichée.
Que pensez-vous que l'UEFA appréciait dans votre style, qu'on ne voit pas trop dans ce milieu-là?
Ils m'ont fait comprendre que ça leur faisait plaisir de voir une touche plus féminine dans ce genre d'exposition. Je crois que ce n'était que des hommes qui avaient participé avant. Quand ils m'ont fait visiter le siège de l'UEFA et m'ont montré plein de trophées, de maillots, des éléments de collection, ça ne me faisait littéralement ni chaud ni froid, contrairement aux autres artistes qui s'emballaient. Je trouve chouette de pouvoir travailler pas que pour des thèmes qui me parlent déjà, mais de faire des ponts entre deux milieux qui ne se connaissent pas forcément. Ça crée de l'art intéressant.
Vous ne vous considérez pas fan de foot alors?
Il faut dire qu'ils m'ont ouverte au milieu du foot féminin, que je connaissais très peu avant. Comme j'ai pu aller à la finale à Londres et j'ai vraiment beaucoup suivi l'Euro 2022, ça m'a quand même un petit peu ouverte à ce milieu. Ce n'est pas pour autant que ça va devenir ma passion numéro une, mais c'est agréable d'en savoir un peu plus. Et c'est très inspirant.
Pourquoi est-ce important pour vous, en tant qu'artiste, de faire cette représentation des femmes, qui plus est dans un sport très masculin?
Justement pour ouvrir un peu les esprits sur le fait qu'un sport, c'est un sport et qu'il peut être joué par n'importe quelle personne, n'importe quel genre. Ça paraît tellement évident, mais c'est fou que ça ne soit pas encore vraiment le cas. J'espère que cet Euro en Suisse va être vu, diffusé, qu'on va en parler. Les femmes dans le milieu sportif ont encore beaucoup de choses à prouver, elles méritent d'être mieux représentées, d'être mieux payées. Et même au-delà, le jeu en foot féminin est beaucoup plus fair-play, plus axé sur la qualité de jeu et l'investissement, plus que sur des batailles d'égo qu'on trouve souvent dans le foot masculin.
Allez-vous voir des matchs cet été?
J'aimerais beaucoup! Malheureusement, je pars en vacances à peu près toute la période de l'Euro, mais je pourrais peut-être aller voir un match en tout début juillet. J'ai quand même espoir d'aller au moins voir un petit match. Et oui, j'ai droit aux billets, je peux demander les billets que je veux !
Où peut-on voir l'exposition?
L'expo était visible en mars dernier au siège de l'UEFA à Nyon. Malheureusement, elle n'y est plus maintenant. Il y a encore l'espoir qu'elle soit déployée quelque part pendant le tournoi, dans une ville hôte ou ailleurs. En attendant, elle est visible sur le site de l'UEFA et il y a une partie dédiée à l'expo sur ma page Instagram.