"Les féminicides, on ne pourra jamais tous les empêcher"
Après 15 ans à la tête du Ministère Public fribourgeois, Fabien Gasser quittera son poste à la fin de l'année. Il était l'invité de la rédaction.

Radio Fribourg: On va commencer avec les deux féminicides qui ont marqué le canton, à Épagny puis à Givisiez. Est-ce que ces drames démontrent que le système actuel a des failles pour protéger les victimes?
Fabien Gasser (FG): Oui, mais il en aura toujours. C'est-à-dire qu'une protection absolue de tous les individus contre tous les autres individus n'est possible que si on enferme tous ceux qui potentiellement peuvent faire quelque chose, donc on n'y arrivera jamais. Je pense que c'est malheureux, on a eu une mauvaise série au niveau fribourgeois cette année. On dit toujours "chaque drame est un drame de trop", c'est vrai, mais ce serait illusoire de penser qu'on peut tous les empêcher quelles que soient les mesures qu'on prend. Mais on prend ça au sérieux, parce qu'évidemment c'est la protection de la population et puis ce sont des actes atroces qu'il faut condamner avec beaucoup de sévérité.
Radio Fribourg: Est-ce qu'il y a des choses qu'on peut changer? Si on prend le cas d'Épagny, par exemple, l'auteur du féminicide avait une arme à feu; est-ce qu'il y a un manque de contrôle?
FG: Pour les armes à feu, est-ce qu'un registre aurait changé la donne? Pas forcément, parce qu'on peut en acquérir de façon illicite. En Suisse, on n'a pas de registre central suisse pour les armes à feu, par contre, on a un registre central suisse des resquilleurs pour les transports publics. Donc voilà, c'est peut-être une chose à réfléchir au niveau politique, mais dans tous les cas, je ne pense pas que ça aurait empêché quoi que ce soit ici.
Radio Fribourg: Selon plusieurs observateurs, le canton de Fribourg serait en retard dans la lutte contre les violences domestiques. Pour vous, est-ce que les moyens manquent?
FG: Effectivement, on a une actualité qui tend à démontrer qu'on n'est pas les pionniers. Par contre, on a fait des progrès énormes: la lutte contre les violences domestiques s'inscrit dans les axes de priorité depuis mon début de mandat, en 2011. On a aussi eu quelque chose d'assez marquant qui s'est passé au niveau de la prédiction et de l'intervention en amont: la création d'une unité de gestion de la menace à la police cantonale. C'est une unité qui n'est pas judiciaire, qui ne fait pas des enquêtes, mais qui essaye de désamorcer les conflits en amont.
Radio Fribourg: En 2015, dans une interview, vous disiez qu'on pouvait lutter contre la violence domestique sans moyens supplémentaires. Est-ce que c'était une erreur? Est-ce qu'on aurait dû mettre plus de moyens?
FG: Ça dépend dans quoi on veut mettre les moyens. Actuellement, on discute du bracelet électronique; c'est une idée qu'il va falloir approfondir, creuser, mais qu'on va pouvoir mettre probablement en vigueur d'ici peu. Au prochain féminicide – parce que je crains fort qu'il y en ait un prochain – on nous dira qu'on n'a pas fait assez avec les bracelets électroniques. Par contre, il est clair qu'avec une charge de travail qui est toujours plus lourde, on a peut-être un peu plus de peine à avancer à la vitesse qu'on souhaiterait dans ce type de dossier, mais ils restent prioritaires.
Radio Fribourg: Un autre phénomène dont on parle beaucoup ces temps, ce sont ces fameux faux policiers. Est-ce que, au niveau de la police et du ministère public, on a les moyens pour lutter contre ces arnaques?
FG: Ça s'inscrit dans cette fantaisie extraordinaire dont font preuve les criminels. À l'époque, on avait les coups de fil des faux PDG qui faisaient débloquer des montants fous de banques, par exemple, en se faisant passer pour les chefs. Maintenant, on a les policiers. Nous, ce qui nous embête, c'est que la police doit inspirer confiance à la population, et quand on utilise cette image, évidemment que ça ne simplifie pas le travail de la police. Ensuite, est-ce qu'on a les moyens de lutter? Je pense qu'on a une justice qui est assez efficace, même si j'entends souvent dire qu'on devrait être plus sévère. L'exemple américain tend à nous montrer qu'on n'aurait pas forcément moins de cas si on était plus sévère.
Radio Fribourg: Vous quitterez le ministère public fribourgeois après quinze ans à sa tête à la fin de l'année. Vous allez peut-être devenir procureur général suppléant de la Confédération; c'est en tout cas votre nom qui est recommandé par la commission de justice du Parlement. Qu'est-ce qui vous intéresse dans ce poste à la Confédération?
FG: Déjà, servir le pays. Je trouve que c'est un honneur particulièrement intéressant à avoir. J'espère donc que l'Assemblée fédérale me fera cet honneur de me confier une mission au sein du ministère public de la Confédération. On est sur des enjeux qui sont très intéressants et qui sont très préoccupants pour le pays tout entier, comme le terrorisme, la corruption... J'espère y amener ce réseau que j'ai pu construire en quinze ans, en participant à beaucoup de conférences intercantonales et autres.
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