"La charge est lourde, je commence à fatiguer"

André Schaub devrait être à la retraite depuis plus d'un an. Faute de relève, le généraliste joue les prolongations à contre-coeur.

André Schaub exerce dans son cabinet à Posieux depuis 1989. © RadioFr.

Pourra-t-on encore aller se soigner chez un médecin de famille, à quelques kilomètres de son domicile, ces prochaines années? La pénurie de généralistes sévit dans le canton de Fribourg. L’année dernière, une enquête de la Fédération romande des consommateurs démontrait qu’il faut, en moyenne, passer 30 coups de téléphone pour trouver un premier rendez-vous chez un praticien.

En 2017, l’Observatoire suisse de la santé montrait déjà, dans une étude, que Fribourg est l’un des cantons avec la plus faible densité de généralistes, Uri étant le seul à afficher des chiffres inférieurs. Signe du manque de médecin de premier recours: dans un rapport publié en 2021, le gouvernement cantonal rappelait qu'il y a 54 généralistes pour 100'000 habitants, alors que la moyenne nationale se situe à 71 généralistes pour 100'000 habitants.

"Je rêve que la transition puisse se faire"

Cette situation - connue - est inquiétante et oblige bien souvent les médecins en place à différer leur départ à la retraite. C’est le cas d'André Schaub qui exerce depuis 1989 dans la commune d’Hauterive. "Je fatigue un peu. Je rêve que la transition puisse se faire, souffle le docteur âgé de 66 ans. Le métier est passionnant mais il est lourd avec des consultation pleines. Je n'ai pas la possibilité de diminuer mon temps de travail, la situation est vraiment compliquée." Le pire cauchemar d'André Schaub serait de voir ses patients se retrouver sans médecin du jour au lendemain. "Je ne sais pas si j'oserais encore me promener dans le village", lâche le généraliste.

Face à cette pénurie de médecins généralistes, les communes fribourgeoises n'hésitent pas à mettre la main au porte-monnaie. À Hauterive, pour préparer l'après André Schaub, la commune a accepté de libérer 300'000 francs qui doivent servir à aménager un cabinet de groupe flambant neuf dans le nouveau bâtiment de la banque Raiffeisen qui est en train d'être construit. La fin des travaux est prévue pour le printemps 2024. "On essaie de se démarquer mais pour l'instant, malgré des discussions, on fait chou blanc et c'est un échec", glisse le syndic de la commune Dominique Zamofing.

Même problème dans la Broye, avec la commune de Montagny qui a investi 100'000 francs dans un centre médical qui reste désespérément vide depuis la fin du mois de juin. "Je supposais que ça n'allait pas être simple mais autant compliqué que ça, je ne l'imaginais pas. Ce serait tellement dommage qu'on n'y arrive pas. Nous avons tout: des salles de consultation, des ordinateurs, un laboratoire. Il ne manque que des médecins", lance Anne Bersier, conseillère communale en charge de la santé à Montagny. La commune espère trouver une solution pour sauver son centre médical d'ici le printemps 2023.

Manque d'anticipation dénoncé

Cette situation ne surprend pas Pierre-Yves Rodondi, le directeur de l'Institut de médecine de famille à l'Université de Fribourg. "Le Master en médecine, lancé en 2019 à Fribourg, est une réussite avec 37 étudiants qui viennent de brillamment réussir leur examen. Mais il va falloir 5 à 7 ans pour qu'ils s'installent et c'est maintenant qu'il faut s'occuper d'eux pour les faire rester, mais malheureusement cela n'a pas été anticipé."

Le canton de Fribourg promet que des efforts vont être entrepris pour inciter les praticiens à s'installer dans la région. "Actuellement, nous avons 6 places d'assistants dans les cabinets. C'est insuffisant, c'est vrai, reconnaît le ministre en charge de la Santé, Philippe Demierre. Mais l'association des médecins fribourgeois vient de nous dire qu'ils vont tout faire pour proposer au moins 20 places de formation post-graduées dans les cabinets médicaux."

Assouplir les règles pour attirer davantage

Pour combattre cette pénurie qui frappe plusieurs régions périphériques, les autorités fédérales veulent aussi faciliter l'installation des médecins étrangers. Une réforme a été mise en consultation en fin d'été. Elle veut lever l'obligation, entrée en vigueur depuis janvier 2022, pour les médecins étrangers, d'avoir exercé pendant 3 ans dans un hôpital suisse avant de pouvoir ouvrir leur propre cabinet. Le canton de Fribourg y est favorable. "On veut pouvoir donner la possibilité aux personnes qui désirent venir travailler en Suisse de pouvoir le faire sans volonté de piller les pays étrangers", lance le conseiller d'Etat Philippe Demierre.

Cette solution ne doit rester que temporaire selon Pierre-Yves Rodondi. "Ce n'est quand même pas très logique de bloquer des étudiants suisses qui veulent faire la médecine pour aller rechercher des étrangers pour pallier le manque." Le directeur de l'Institut de médecine de famille à l'Université de Fribourg appelle à créer des incitatifs et du plaisir à exercer cette profession. "Il y a bien sûr la question des salaires des généralistes qui gagnent moins que les spécialistes mais il n'y a pas que cela. Il faut vraiment donner envie d'exercer ce métier en offrant des bonnes conditions. Un généraliste ne voudra pas venir dans une région où il sait qu'il va travailler 8 jours sur 7."

Dossier complet ci-dessous :

RadioFr. - Mehdi Piccand
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