"On a besoin de gravier, autant le prendre chez nous"
Le conseiller d'Etat fribourgeois Jean-François Steiert revient sur le débat émotionnel autour des gravières. Interview.
Radio Fribourg: Vous avez fait le tour de plusieurs communes concernées par des nouveaux projets ou des extensions de gravières. Vous avez entendu la colère des citoyens et leurs questions. Qu'est-ce que vous retenez de ces visites dans les villages?
Jean-François Steiert: D'une part, des discussions animées, de fortes émotions, des gens très concernés, fâchés souvent, aussi. Et en même temps, une compréhension pour le fait que, sur le principe, on aura toujours besoin d'un peu de gravier dans le canton. Les réponses là-dessus, d'ailleurs, sont assez divisées. Le monde de la construction souhaite en avoir plus, les gens concernés souhaitent en avoir moins. Après, il faudra voir un peu où on se trouve. On est un peu dans le tir des cantons voisins. Et puis, il y a une compréhension pour le fait que ce n'est pas super intelligent d'aller chercher du gravier en France pour nos chantiers fribourgeois, alors qu'on a du gravier chez nous [...] Il y a les personnes qui souhaitent qu'on ne prenne pas de gravier sous des forêts, des surfaces agricoles, pas de gravier trop près des habitations, il va falloir trouver des compromis. Il n'y aura sans doute pas, à la fin, une solution qui convient à tout le monde. Les retours nous donnent une série d'indications pour voir où on peut corriger le tir. Ce n'est pas une science objective. Il y a des aspects plus subjectifs sur les nuisances.
Dans la communication, vous avez l'impression d'avoir fait juste ou qu'il y a encore mieux à faire?
Dans le plan précédent, il n'y avait pas eu de soirée d'information publique. Les gens ont découvert, ou pas, d'ailleurs beaucoup plus tard, ce qui avait été fait. Certaines personnes ont découvert par la communication du présent plan sectoriel qu'elles étaient déjà dans le périmètre du précédent parce que ça n'avait jamais été dit. Donc, oui, évidemment que ça donne plus de tensions quand on va voir directement les personnes concernées. En même temps, ça permet de mener la discussion, ça permet aussi aux personnes concernées de voir ce qui se fait. Il y a certainement des choses qu'on peut encore améliorer.
Dans les retours sur le plan sectoriel mis en consultation, beaucoup de critiques ressortent, sur la proximité des habitations et l'impact environnemental notamment, que répondez-vous?
Certaines critiques ont déjà fait l'objet de discussions au sein du comité de pilotage (ndlr: COPIL), notamment sur les distances où une partie des membres souhaitait vivement supprimer la distance par rapport aux habitations. J'ai demandé au Conseil d'Etat qu'on garde une variante avec un maintien de la distance aux habitations. Les retours qui viennent de la procédure de consultation montrent qu'une écrasante majorité des personnes qui répondent souhaitent garder le maintien de cette distance. C'est donc certainement ce que je vais proposer pour la suite des choses. Après, il faut voir quelles sont ces distances minimales en se reposant aussi sur les pratiques dans d'autres régions de Suisse.
Un groupe de citoyens demande de revoir le comité de pilotage, de revoir aussi complètement ce plan sectoriel. C'est quelque chose que vous entendez ou c'est une critique qui est infondée pour vous?
Contrairement au comité de pilotage des exercices précédents qui comprenaient exclusivement des représentants de l'administration ou des entreprises concernées, là, on a eu un comité de pilotage qui a été équilibré, avec des représentants de l'association des communes [...] Après, on ne peut pas mettre toutes les communes dans un COPIL, c'est un peu compliqué. Il y a eu des représentants des associations environnementales, ce qui était nouveau aussi. Attaquer le COPIL, je pense qu'il y a un peu de mauvaise foi là-dedans. On peut ne pas être content ou pas d'accord avec les résultats des travaux du COPIL mais ce n'est pas la même chose.
On a un débat un peu similaire à ce qui se fait sur les éoliennes. Vous pensez que ça peut s'embourber, comme à l'image de ce qui s'est passé avec les éoliennes, ou vous êtes confiant sur le développement à venir?
On a deux, trois différences, même si certaines analogies existent. D'une part, dans la question de l'éolien, on a une partie des personnes, des acteurs politiques qui sont fondamentalement d'avis qu'il n'y a pas besoin d'éolien dans le canton. D'autres estiment qu'il en faut, mais pas là où c'est prévu. Sur les gravières, je n'ai pas entendu de voix qui disent qu'on n'a pas besoin d'extraire du gravier dans le canton. Donc, même si on recycle beaucoup plus, on a toujours besoin de gravier. Ce gravier-là, autant le prendre chez nous plutôt qu'aller le chercher en France. L'autre différence, c'est qu'on a quand même encore aujourd'hui des communes qui ont signé des contrats avec des entreprises qui utilisent les gravières, avec des communes qui reçoivent souvent des dédommagements non négligeables par rapport à un mètre cube de gravier extrait. Donc, on n'a pas simplement un front de communes contre. Il y a une partie des communes qui ne veulent pas, d'autres communes qui veulent.
Pour les prochaines étapes, c'est quand et qu'est-ce qui se passe?
Comme il y a eu beaucoup de réponses, ça prend un peu plus de temps que prévu pour faire le rapport de consultation. On a aujourd'hui à la fois des demandes de personnes qui souhaitent obtenir tous les documents. La plupart des documents ont pu être donnés, mais on a aussi certains opposants aux gravières qui ont écrit au Conseil d'Etat qu'ils s'opposaient, mais qui ne veulent pas que leurs données soient publiques et que leur nom soit public, et qui donc nous ont exigé par voie de droit formelle de ne pas fournir à d'autres opposants leur nom. Et ça, c'est des choses qu'on est en train de faire examiner par la préposée à la protection des données. Des entreprises, mais aussi des privés ont fait opposition, mais ne souhaitent pas que ça se sache publiquement. Ce sont des choses qui sont en train d'être clarifiées actuellement. Ensuite, je proposerai au COPIL un certain nombre de changements. On a aussi la Confédération qui, sur le fond, n'a pas de critique fondamentale, mais demande un certain nombre d'informations complémentaires, des réflexions, des fiches aussi pour les gravières qui seraient retenues, mais c'est plus des demandes techniques que des demandes fondamentales de changement. Et on doit répondre à ces éléments-là, avant de ficeler un nouveau paquet. C'est une discussion qui est ensuite présentée dans le cadre de la révision future du plan directeur cantonal pour discussion au Grand Conseil.
Avez-vous une date à donner?
La décision du Conseil d'Etat aura lieu au printemps 2025. Le débat au Grand Conseil interviendra l'été, sans doute.
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